MarocDroit  -  موقع العلوم القانونية
plateforme des décideurs juridiques - Platform of Legal Decision-Makers




Conseil d'État: le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale (31/08/2023)

     

Conseil d'État, Juge des référés, 31/08/2023, 481062, Inédit au recueil Lebon



RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Mme B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de l'Isère, sous une astreinte de 80 euros par jour de retard, de l'orienter, ainsi que son enfant, vers une structure d'hébergement d'urgence. Par une ordonnance n° 2304732 du 26 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif a enjoint au préfet de l'Isère de proposer à Mme A... un hébergement susceptible de les accueillir, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de son ordonnance, sous une astreinte de 20 euros par semaine de retard.

Par une requête enregistrée le 10 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande de Mme A....


Elle soutient que :
- le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit en ce qu'il a statué sans rechercher si Mme A..., destinataire d'une obligation de quitter le territoire français, justifiait d'une situation relevant de " circonstances exceptionnelles " ;
- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale au droit à un hébergement d'urgence en l'absence de carence de l'Etat, eu égard, d'une part, au refus opposé par l'intéressée à la proposition d'hébergement qui lui a été faite en février puis en juillet 2023, d'autre part, à l'absence de circonstances exceptionnelles.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 août 2023, Mme A... conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Elle soutient que les moyens soulevés en appel ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement et, d'autre part, Mme A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 29 août 2023, à 11 heures :

- les représentants de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;

- Me Zribi, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de Mme A... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 30 août 2023 à 12 heures, puis à 18 heures le même jour ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 août 2023, par lequel la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement maintient ses conclusions ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 août 2023, par lequel Mme A... maintient ses conclusions et demande en outre qu'il soit précisé que l'hébergement situé à Saint-Quentin-Fallavier n'est pas adapté à sa situation eu égard aux besoins de sa fille ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / (...) / L'hébergement d'urgence prend en compte, de la manière la plus adaptée possible, les besoins de la personne accueillie (...) ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ". Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement de ces dispositions, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée. Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'ont pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence. Dès lors, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles. Constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant.
3. Mme A... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de lui attribuer un hébergement d'urgence. La délégation interministérielle à l'hébergement et au logement relève appel de l'ordonnance du 26 juillet 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande.

4. A l'appui de son appel, la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement, qui ne conteste pas la situation de vulnérabilité de Mme A... et de sa fille, âgée de deux ans, fait valoir qu'aucune carence de l'Etat ne peut être caractérisée en l'espèce, eu égard à la solution d'hébergement qui a été proposée à deux reprises à Mme A..., en février 2023 puis le 28 juillet 2023, en exécution de l'ordonnance attaquée. Toutefois, il résulte de l'instruction et des échanges à l'audience que cet hébergement, situé à Saint-Quentin-Fallavier, dans une zone industrielle éloignée de la gare ferroviaire, n'est en tout état de cause pas compatible, dans les circonstances particulières de l'espèce, avec les besoins de l'enfant, notamment en ce qu'il ne permet pas la continuité de sa prise en charge par l'établissement d'accueil pour jeunes enfants, situé à Grenoble, où elle est accueillie quotidiennement depuis septembre 2022, où elle trouve la stabilité qui lui est nécessaire eu égard à son très jeune âge, à la séparation avec son père et à la fragilité de son état physique et psychique après plus de six mois à la rue, et où elle est inscrite pour l'année 2023-2024.

5. Il résulte de ce qui précède que la délégation interministérielle à l'hébergement et au logement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, qui, contrairement à ce qui est allégué, a à bon droit admis l'existence de circonstances exceptionnelles, a enjoint pour ce motif au préfet de l'Isère de proposer à Mme A... un hébergement susceptible de l'accueillir, avec son enfant, dans les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'octroyer l'aide juridictionnelle à Mme A... et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son avocat, la SCP Zribi et Texier, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.



O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme A..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement et à Mme C... A....
Fait à Paris, le 31 août 2023
Signé : Suzanne von Coester
Conseil d'État:  le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale (31/08/2023)



الثلاثاء 12 سبتمبر 2023
MarocDroit "منصة مغرب القانون الأصلية"

تعليق جديد
Twitter