Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 24/07/2024, 464641
Conseil d'État - 6ème - 5ème chambres réunies
N° 464641
ECLI:FR:CECHR:2024:464641.20240724
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du mercredi 24 juillet 2024
Rapporteur
M. David Gaudillère
Rapporteur public
M. Frédéric Puigserver
Avocat(s)
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 464641, par une requête et un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés les 2 juin 2022, 18 février 2023 et 12 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale des magistrats demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2, 3, 5, 6, 7 et 10 du décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire ;
2°) d'adresser à la Cour de cassation, au titre de l'article R. 771-2 du code de justice administrative, des questions préjudicielles portant sur l'interprétation de dispositions des articles 52-1 et 118 ainsi que des articles 242 et 276-1 du code de procédure pénale ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 464848, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 juin 2022 et 14 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française des magistrats instructeurs demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 10 du même décret ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 50 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code de procédure pénale ;
- loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 ;
- le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 ;
- l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés du 7 juin 2011 relatif à la création d'un comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, avocat du Conseil national des barreaux et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'Union syndicale des magistrats et l'Association française des magistrats instructeurs demandent, pour la première, l'annulation pour excès de pouvoir des articles 2, 3, 5, 6, 7 et 10 du décret du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire et, pour la seconde, l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 10 de ce même décret.
Sur les interventions du Conseil national des barreaux et de la Conférence des bâtonniers de France :
2. Le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers de France justifient, eu égard à la nature et à l'objet des questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant au maintien de l'article 10 du décret attaqué. Leurs interventions sont, par suite, recevables.
Sur la demande de question préjudicielle :
3. La circonstance que le décret attaqué ait trait à la procédure pénale n'est pas de nature à devoir conduire le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur les recours pour excès de pouvoir formés contre ce décret à saisir la juridiction judiciaire de questions préjudicielles relatives à l'interprétation de dispositions du code de procédure pénale. Aucune suite ne saurait, dès lors, être donnée à la demande de l'Union syndicale des magistrats tendant à ce que des questions préjudicielles soient adressées à la Cour de cassation quant à l'interprétation de telles dispositions.
Sur le moyen, invoqué à l'encontre de l'ensemble des dispositions contestées du décret attaqué, tiré du défaut de consultation préalable des comités techniques :
4. Aux termes de l'article 34 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'Etat : " Les comités techniques sont consultés, dans les conditions et les limites précisées pour chaque catégorie de comité par les articles 35 et 36 sur les questions et projets de textes relatifs : 1° A l'organisation et au fonctionnement des administrations, établissements ou services ; (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 7 juin 2011 relatif à la création d'un comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires : " Il est créé, auprès du directeur des services judiciaires, un comité technique spécial de service ayant compétence, dans le cadre des dispositions du titre III du décret du 15 février 2011 susvisé, pour connaître de toutes les questions concernant l'ensemble des services déconcentrés placés sous son autorité ".
5. Les dispositions du décret attaqué n'emportant pas de conséquences directes et significatives sur l'organisation ou le fonctionnement des services judiciaires, la consultation du comité technique ministériel du ministère de la justice et celle du comité technique central auprès du directeur des services judiciaires du ministère de la justice ne revêtaient pas, s'agissant de ces dispositions, un caractère obligatoire. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité du décret faute de consultation préalable de ces comités doit être écarté.
Sur la légalité de l'article 2 du décret attaqué :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant (...) la procédure pénale (...) ". S'il résulte de ces dispositions que le législateur est seul compétent pour fixer les règles relatives à la procédure pénale, les modalités d'application de ces règles peuvent être déterminées par le pouvoir réglementaire. La circonstance que le législateur n'ait pas expressément prévu de renvoi à un décret pour l'application de telle disposition législative ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire détermine les modalités d'application des règles fixées par cette disposition.
7. Si l'Union syndicale des magistrats soutient que les dispositions législatives dont l'article 2 du décret attaqué détermine les modalités d'application ne prévoient aucun renvoi au décret, il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que cet article serait, pour ce motif, entaché d'incompétence pour méconnaissance des attributions réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution, ne peut qu'être être écarté.
8. En second lieu, toutefois, s'agissant de l'ouverture d'une information judiciaire, les quatrième et cinquième alinéas de l'article 52-1 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, prévoient que les juges d'instruction composant un pôle de l'instruction sont, en principe, seuls compétents pour connaître des informations en matière de crime et le demeurent en cas de requalification des faits au cours de l'information. Par dérogation, s'il s'agit d'un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu'il n'est pas commis en état de récidive légale et si le procureur de la République considère qu'il résulte des circonstances de l'espèce et de son absence de complexité que le recours à la cosaisine, même en cours d'instruction, paraît peu probable, ce dernier peut requérir l'ouverture de l'information auprès du juge d'instruction du tribunal judiciaire dans lequel il n'y a pas de pôle de l'instruction.
9. Après l'ouverture de l'information judiciaire, l'article 118 du code de procédure pénale dispose : " S'il apparaît au cours de l'information que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime, le juge d'instruction notifie à la personne, après l'avoir informée de son intention et avoir recueilli ses éventuelles observations et celles de son avocat, qu'une qualification criminelle est substituée à la qualification initialement retenue. (...) / Si l'information a été ouverte au sein d'une juridiction dépourvue de pôle de l'instruction et lorsque la gravité ou la complexité de l'affaire le justifie, le juge d'instruction, aussitôt après avoir procédé aux formalités prévues par le présent article, peut se dessaisir, d'office ou sur réquisition du procureur de la République, au profit d'un juge du pôle de l'instruction compétent, désigné par le président du tribunal judiciaire dans lequel se trouve ce pôle ".
10. L'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale, résultant du IV de l'article 2 du décret attaqué, dispose : " En application du dernier alinéa de l'article 118 et conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article 52-1, le juge d'instruction de la juridiction dépourvue de pôle de l'instruction qui constate que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime : (...) / 2° Se dessaisit au profit d'un juge du pôle de l'instruction sur réquisition du procureur de la République lorsqu'il s'agit d'un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion, commis en l'absence de récidive légale et que le procureur de la République considère qu'il résulte des circonstances de l'espèce et de sa complexité que le recours à la cosaisine en cours d'instruction ne paraît pas improbable ".
11. Ces dispositions du 2° de l'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale imposent au juge d'instruction d'une juridiction dépourvue de pôle de l'instruction de se dessaisir en cours d'information, d'une part, si celui-ci constate que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime, d'autre part, si ce crime est puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion et a été commis en l'absence de récidive légale et, enfin, lorsque le procureur de la République considère que le recours à la cosaisine en cours d'instruction ne paraît pas improbable. Toutefois, il résulte des termes mêmes du dernier alinéa de l'article 118 de ce code, sur le fondement duquel l'article D. 32-2-3 a été pris, que ce dessaisissement relève, une fois que l'information a été ouverte, de l'appréciation du seul juge d'instruction initialement saisi, alors même qu'il aurait été requis par le procureur de la République. Dès lors, en rendant obligatoire en cours d'information, sur réquisition du procureur de la République, un dessaisissement dont l'article 118 du code de procédure pénale prévoit qu'il n'est que facultatif, le 2° du nouvel article D. 32-2-3 a méconnu les dispositions législatives dont il entendait préciser l'application. Il s'ensuit que les dispositions de l'article 2 du décret attaqué doivent être annulées dans cette mesure.
Sur la légalité des articles 3 et 7 du décret attaqué :
12. Si l'Union syndicale des magistrats soutient que les dispositions de l'article 77-2 du code de procédure pénale, modifié par la loi du 22 décembre 2021 en vue de développer le caractère contradictoire des enquêtes préliminaires, et de l'article 696-111 du même code sur les signalements du procureur européen, dont les articles 3 et 7 du décret attaqué déterminent, respectivement, les modalités d'application, ne prévoient aucun renvoi au décret, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le moyen tiré de ce que ces articles seraient, pour ce seul motif, entachés d'incompétence pour méconnaissance des attributions réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution, ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de l'article 5 du décret attaqué :
13. Aux termes de l'article 276-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire : " Après avoir procédé à l'interrogatoire de l'accusé en application de l'article 272, le président de la cour d'assises organise en chambre du conseil une réunion préparatoire criminelle. Si l'accusé est en détention provisoire, le président de la cour d'assises sollicite la communication d'une copie de son dossier individuel de détention. La réunion se tient en présence du ministère public et des avocats de l'ensemble des parties, le cas échéant par tout moyen de télécommunication, afin de rechercher un accord sur la liste des témoins et des experts qui seront cités à l'audience, sur leur ordre de déposition et sur la durée de l'audience, notamment lorsqu'il a été fait application de l'article 380-2-1 A. / Si un accord intervient, il ne fait obstacle, en cas de nécessité, ni à la possibilité pour le ministère public et les parties de citer d'autres témoins ou experts que ceux qui avaient été prévus, ni à une modification de leur ordre de déposition. À défaut d'accord, il est procédé dans les conditions prévues aux articles 277 à 287 ".
14. D'une part, l'article D. 45-1-2 du code de procédure pénale, introduit par le III de l'article 5 du décret attaqué, prévoit que la " réunion préparatoire criminelle " prévue par les dispositions précitées de l'article 276-1 de ce code " peut se tenir avec l'assistance du greffier de la cour d'assises ". Si l'Union syndicale des magistrats soutient que cette disposition, en ne prévoyant qu'une présence facultative du greffier de la cour d'assises lors des réunions préparatoires criminelles, méconnaîtrait l'article 242 de ce code, qui dispose que la cour d'assises est, à l'audience, assistée d'un greffier, il résulte toutefois des dispositions de l'article 276-1 que cette réunion, qui se tient uniquement en présence du président de la cour d'assises, du ministère public et des avocats des parties, et dont le seul objet consiste à rechercher un accord sur la liste des témoins et des experts qui seront cités à l'audience, sur leur ordre de déposition et sur la durée de l'audience, ne peut être regardée comme une audience de la cour d'assises. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article D. 45-1-2, qui fixent compétemment les modalités d'application des dispositions législatives du code de procédure pénale, auraient méconnu l'article 242 de ce code doit être écarté.
15. D'autre part, en prévoyant que le procès-verbal que fait établir le président de la cour d'assises à l'issue de la " réunion préparatoire criminelle " ne fait pas état du contenu des échanges ayant eu lieu au cours de la réunion, les dispositions de l'article D. 45-1-2 du code de procédure pénale ne fixent pas de nouvelle règle de procédure pénale mais se bornent à déterminer les modalités d'application des règles fixées en la matière par le législateur à l'article 276-1 du code. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions de l'article 5 du décret attaqué empiéteraient sur les attributions du législateur en matière de procédure pénale et seraient par suite entachées d'incompétence doit être écarté.
Sur la légalité de l'article 6 du décret attaqué :
16. La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire a modifié les dispositions de l'article 495-15 du code de procédure pénale en vue d'étendre les possibilités de recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à des cas où le tribunal correctionnel ou, en cas d'appel, le chambre des appels correctionnels ont déjà été saisis. Aux termes de l'article 495-15 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi du 22 décembre 2021 : " Le prévenu qui a fait l'objet, pour l'un des délits mentionnés à l'article 495-7, d'une citation directe ou d'une convocation en justice en application des articles 390 ou 390-1, d'une convocation par procès-verbal en application de l'article 394 ou d'une ordonnance de renvoi en application de l'article 179 peut, soit lui-même, soit par l'intermédiaire de son avocat, indiquer au procureur de la République qu'il reconnaît les faits qui lui sont reprochés et demander l'application de la procédure prévue à la présente section. Dans ce cas, le procureur de la République peut, s'il l'estime opportun, procéder dans les conditions prévues à l'article 495-8, après avoir convoqué le prévenu et son avocat ainsi que, le cas échéant, la victime. L'acte de saisine du tribunal correctionnel est alors caduc, sauf si la personne n'accepte pas les peines proposées ou si le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par lui refuse de les homologuer, lorsque l'un ou l'autre de ces refus intervient plus de dix jours avant la date de l'audience devant se tenir sur le fond devant le tribunal correctionnel. / Le procureur de la République peut également prendre l'initiative de proposer au prévenu de procéder conformément au premier alinéa du présent article. / Le présent article est applicable tant que le tribunal correctionnel n'a pas examiné l'affaire sur le fond, y compris si celle-ci a fait l'objet d'une décision de renvoi. (...) ".
17. L'article D. 45-2-12 du code de procédure pénale, que crée le I de l'article 6 du décret attaqué, dispose que, lorsque la demande du prévenu prévue par l'article 495-15 de ce code tendant à l'application de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est adressée au procureur de la République plus de trois mois avant la date de l'audience fixée par le tribunal correctionnel, ce magistrat informe par tout moyen le demandeur s'il décide de ne pas mettre en œuvre cette procédure. Le dernier alinéa de cet article D. 45-2-12 précise que le défaut d'information du demandeur ne constitue cependant pas une cause de nullité de la saisine du tribunal correctionnel. L'article D. 45-29 du même code, que crée le II de l'article 6 du décret attaqué, prévoit des dispositions équivalentes, s'agissant de la procédure en appel. En outre, alors que l'article 495-15 précité du code de procédure pénale dispose que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité peut être mise en œuvre " tant que le tribunal correctionnel n'a pas examiné l'affaire sur le fond ", les articles D. 45-2-11 et D. 45-28, que crée l'article 6 du décret attaqué, prévoient respectivement, lorsqu'une affaire a été audiencée, que la décision du procureur de la République et, en appel, celle du procureur général de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne peuvent intervenir moins d'un mois avant la date prévue pour l'audience, sauf en cas d'accord du président du tribunal correctionnel et, en appel, du président de la chambre de la cour d'appel.
18. Les dispositions ainsi prévues par l'article 6 du décret attaqué ajoutent des règles à celles par lesquelles le législateur a organisé la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités d'application des règles fixées en la matière par le législateur. Elles relèvent, par suite, du domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution et sont entachées d'incompétence. Il y a lieu, pour ce motif, d'annuler l'article 6 du décret attaqué.
Sur la légalité de l'article 10 du décret attaqué :
19. L'article 10 du décret attaqué introduit dans le code de procédure pénale un article D. 593-2, qui dispose : " Dans tous les cas où, en application des dispositions du présent code, un avocat peut demander la délivrance d'une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2, 80-2, 114, 388-4, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3, il peut consulter ce dossier, l'avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d'un mandat écrit à cette fin peut, à l'occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l'utilisation d'un scanner portatif ou la prise de photographies. Il en est de même lorsque l'avocat consulte le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41-1 à 41-3-1 A. Cette reproduction est réalisée pour l'usage exclusif de l'avocat, qui ne peut la remettre à son client, si elle concerne un dossier d'instruction. / Cette reproduction ne fait pas obstacle au droit de l'avocat d'obtenir, dans les cas et dans les délais prévus par le présent code, une copie du dossier auprès de la juridiction. / Si le dossier est numérisé, l'avocat ne peut refuser d'en recevoir une copie sous forme numérisée, le cas échéant selon les modalités prévues par l'article 803-1, sauf, dans le cas prévu par les articles 114 et R. 165, décision contraire du juge d'instruction ; en cas de numérisation partielle du dossier, la copie de la partie du dossier non numérisée est remise sur support papier ".
20. D'une part, il ne résulte pas des dispositions législatives du code de procédure pénale prévoyant qu'un avocat peut demander à l'autorité compétente la délivrance d'une copie du dossier de la procédure pénale que le législateur aurait, dans ces cas, également entendu permettre que l'avocat puisse réaliser, par lui-même, une reproduction de tout ou partie de ce dossier à l'occasion de la consultation de celui-ci.
21. D'autre part, les articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du code de procédure pénale prévoient, dans le cadre des procédures qu'ils encadrent respectivement, que les avocats peuvent consulter le dossier ou que celui-ci est mis à leur disposition. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu, s'agissant des procédures concernées, limiter le droit des avocats à une simple consultation du dossier, sans leur permettre d'en obtenir une copie ni a fortiori d'en réaliser par eux-mêmes une reproduction intégrale ou partielle dans le cadre de cette consultation.
22. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article D. 593-2 du code de procédure pénale, qui prévoient que l'avocat peut réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l'utilisation d'un scanner portatif ou la prise de photographies, dans tous les cas où, en application de ce code, un avocat peut demander la délivrance d'une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du même code, il peut consulter le dossier, ont fixé des règles nouvelles et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités d'application des règles déjà fixées en ce domaine par le législateur. Il en va de même des dispositions de ce même article D. 593-2 qui permettent aux avocats de réaliser eux-mêmes des reproductions du dossier dans le cadre des procédures prévues aux articles 41-1 à 41-3-1 A du code de procédure pénale, lesquels ne comportent aucune précision relative à l'accès des avocats au dossier. Par suite, l'ensemble des dispositions introduites dans le code de procédure pénale par l'article 10 du décret attaqué relèvent du domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution et sont entachées d'incompétence. Il y a lieu, pour ce motif, de les annuler.
23. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 2, en tant qu'il crée le 2° de l'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale, ainsi que des articles 6 et 10 du décret attaqué. Le surplus des conclusions des requêtes doit, en revanche, être rejeté.
Sur les effets des annulations prononcées :
24. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
25. Eu égard aux conséquences manifestement excessives sur le fonctionnement du service public de la justice qui résulteraient de l'annulation rétroactive du 2° de l'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'article 2 du décret attaqué, ainsi que des articles 6 et 10 du décret attaqué, il y a lieu de déroger au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et de regarder comme définitifs les effets produits par ces dispositions antérieurement à leur annulation par la présente décision.
26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat les sommes de 1 500 euros et 50 euros à verser, respectivement, à l'Union syndicale des magistrats et à l'Association française des magistrats instructeurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les interventions du Conseil national des barreaux et de la Conférence des bâtonniers de France sont admises.
Article 2 : L'article 2, en tant qu'il crée le 2° de l'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale, ainsi que les articles 6 et 10 du décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire sont annulés.
Article 3 : Les effets produits antérieurement à la date de la présente décision par les dispositions des articles 2, 6 et 10 du décret du 13 avril 2022, dont l'article 2 ci-dessus prononce l'annulation, sont définitifs.
Article 5 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à l'Union syndicale des magistrats et une somme de 50 euros à l'Association française des magistrats instructeurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Union syndicale des magistrats est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale des magistrats, à l'Association française des magistrats instructeurs, au garde des sceaux, ministre de la justice, au Conseil national des barreaux et à la Conférence des bâtonniers de France.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 24 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
ECLI:FR:CECHR:2024:464641.20240724
Conseil d'État - 6ème - 5ème chambres réunies
N° 464641
ECLI:FR:CECHR:2024:464641.20240724
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du mercredi 24 juillet 2024
Rapporteur
M. David Gaudillère
Rapporteur public
M. Frédéric Puigserver
Avocat(s)
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 464641, par une requête et un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés les 2 juin 2022, 18 février 2023 et 12 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale des magistrats demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2, 3, 5, 6, 7 et 10 du décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire ;
2°) d'adresser à la Cour de cassation, au titre de l'article R. 771-2 du code de justice administrative, des questions préjudicielles portant sur l'interprétation de dispositions des articles 52-1 et 118 ainsi que des articles 242 et 276-1 du code de procédure pénale ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 464848, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 juin 2022 et 14 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française des magistrats instructeurs demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 10 du même décret ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 50 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code de procédure pénale ;
- loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 ;
- le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 ;
- l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés du 7 juin 2011 relatif à la création d'un comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, avocat du Conseil national des barreaux et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'Union syndicale des magistrats et l'Association française des magistrats instructeurs demandent, pour la première, l'annulation pour excès de pouvoir des articles 2, 3, 5, 6, 7 et 10 du décret du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire et, pour la seconde, l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 10 de ce même décret.
Sur les interventions du Conseil national des barreaux et de la Conférence des bâtonniers de France :
2. Le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers de France justifient, eu égard à la nature et à l'objet des questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant au maintien de l'article 10 du décret attaqué. Leurs interventions sont, par suite, recevables.
Sur la demande de question préjudicielle :
3. La circonstance que le décret attaqué ait trait à la procédure pénale n'est pas de nature à devoir conduire le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur les recours pour excès de pouvoir formés contre ce décret à saisir la juridiction judiciaire de questions préjudicielles relatives à l'interprétation de dispositions du code de procédure pénale. Aucune suite ne saurait, dès lors, être donnée à la demande de l'Union syndicale des magistrats tendant à ce que des questions préjudicielles soient adressées à la Cour de cassation quant à l'interprétation de telles dispositions.
Sur le moyen, invoqué à l'encontre de l'ensemble des dispositions contestées du décret attaqué, tiré du défaut de consultation préalable des comités techniques :
4. Aux termes de l'article 34 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'Etat : " Les comités techniques sont consultés, dans les conditions et les limites précisées pour chaque catégorie de comité par les articles 35 et 36 sur les questions et projets de textes relatifs : 1° A l'organisation et au fonctionnement des administrations, établissements ou services ; (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 7 juin 2011 relatif à la création d'un comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires : " Il est créé, auprès du directeur des services judiciaires, un comité technique spécial de service ayant compétence, dans le cadre des dispositions du titre III du décret du 15 février 2011 susvisé, pour connaître de toutes les questions concernant l'ensemble des services déconcentrés placés sous son autorité ".
5. Les dispositions du décret attaqué n'emportant pas de conséquences directes et significatives sur l'organisation ou le fonctionnement des services judiciaires, la consultation du comité technique ministériel du ministère de la justice et celle du comité technique central auprès du directeur des services judiciaires du ministère de la justice ne revêtaient pas, s'agissant de ces dispositions, un caractère obligatoire. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité du décret faute de consultation préalable de ces comités doit être écarté.
Sur la légalité de l'article 2 du décret attaqué :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant (...) la procédure pénale (...) ". S'il résulte de ces dispositions que le législateur est seul compétent pour fixer les règles relatives à la procédure pénale, les modalités d'application de ces règles peuvent être déterminées par le pouvoir réglementaire. La circonstance que le législateur n'ait pas expressément prévu de renvoi à un décret pour l'application de telle disposition législative ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire détermine les modalités d'application des règles fixées par cette disposition.
7. Si l'Union syndicale des magistrats soutient que les dispositions législatives dont l'article 2 du décret attaqué détermine les modalités d'application ne prévoient aucun renvoi au décret, il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que cet article serait, pour ce motif, entaché d'incompétence pour méconnaissance des attributions réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution, ne peut qu'être être écarté.
8. En second lieu, toutefois, s'agissant de l'ouverture d'une information judiciaire, les quatrième et cinquième alinéas de l'article 52-1 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, prévoient que les juges d'instruction composant un pôle de l'instruction sont, en principe, seuls compétents pour connaître des informations en matière de crime et le demeurent en cas de requalification des faits au cours de l'information. Par dérogation, s'il s'agit d'un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu'il n'est pas commis en état de récidive légale et si le procureur de la République considère qu'il résulte des circonstances de l'espèce et de son absence de complexité que le recours à la cosaisine, même en cours d'instruction, paraît peu probable, ce dernier peut requérir l'ouverture de l'information auprès du juge d'instruction du tribunal judiciaire dans lequel il n'y a pas de pôle de l'instruction.
9. Après l'ouverture de l'information judiciaire, l'article 118 du code de procédure pénale dispose : " S'il apparaît au cours de l'information que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime, le juge d'instruction notifie à la personne, après l'avoir informée de son intention et avoir recueilli ses éventuelles observations et celles de son avocat, qu'une qualification criminelle est substituée à la qualification initialement retenue. (...) / Si l'information a été ouverte au sein d'une juridiction dépourvue de pôle de l'instruction et lorsque la gravité ou la complexité de l'affaire le justifie, le juge d'instruction, aussitôt après avoir procédé aux formalités prévues par le présent article, peut se dessaisir, d'office ou sur réquisition du procureur de la République, au profit d'un juge du pôle de l'instruction compétent, désigné par le président du tribunal judiciaire dans lequel se trouve ce pôle ".
10. L'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale, résultant du IV de l'article 2 du décret attaqué, dispose : " En application du dernier alinéa de l'article 118 et conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article 52-1, le juge d'instruction de la juridiction dépourvue de pôle de l'instruction qui constate que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime : (...) / 2° Se dessaisit au profit d'un juge du pôle de l'instruction sur réquisition du procureur de la République lorsqu'il s'agit d'un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion, commis en l'absence de récidive légale et que le procureur de la République considère qu'il résulte des circonstances de l'espèce et de sa complexité que le recours à la cosaisine en cours d'instruction ne paraît pas improbable ".
11. Ces dispositions du 2° de l'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale imposent au juge d'instruction d'une juridiction dépourvue de pôle de l'instruction de se dessaisir en cours d'information, d'une part, si celui-ci constate que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime, d'autre part, si ce crime est puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion et a été commis en l'absence de récidive légale et, enfin, lorsque le procureur de la République considère que le recours à la cosaisine en cours d'instruction ne paraît pas improbable. Toutefois, il résulte des termes mêmes du dernier alinéa de l'article 118 de ce code, sur le fondement duquel l'article D. 32-2-3 a été pris, que ce dessaisissement relève, une fois que l'information a été ouverte, de l'appréciation du seul juge d'instruction initialement saisi, alors même qu'il aurait été requis par le procureur de la République. Dès lors, en rendant obligatoire en cours d'information, sur réquisition du procureur de la République, un dessaisissement dont l'article 118 du code de procédure pénale prévoit qu'il n'est que facultatif, le 2° du nouvel article D. 32-2-3 a méconnu les dispositions législatives dont il entendait préciser l'application. Il s'ensuit que les dispositions de l'article 2 du décret attaqué doivent être annulées dans cette mesure.
Sur la légalité des articles 3 et 7 du décret attaqué :
12. Si l'Union syndicale des magistrats soutient que les dispositions de l'article 77-2 du code de procédure pénale, modifié par la loi du 22 décembre 2021 en vue de développer le caractère contradictoire des enquêtes préliminaires, et de l'article 696-111 du même code sur les signalements du procureur européen, dont les articles 3 et 7 du décret attaqué déterminent, respectivement, les modalités d'application, ne prévoient aucun renvoi au décret, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le moyen tiré de ce que ces articles seraient, pour ce seul motif, entachés d'incompétence pour méconnaissance des attributions réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution, ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de l'article 5 du décret attaqué :
13. Aux termes de l'article 276-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire : " Après avoir procédé à l'interrogatoire de l'accusé en application de l'article 272, le président de la cour d'assises organise en chambre du conseil une réunion préparatoire criminelle. Si l'accusé est en détention provisoire, le président de la cour d'assises sollicite la communication d'une copie de son dossier individuel de détention. La réunion se tient en présence du ministère public et des avocats de l'ensemble des parties, le cas échéant par tout moyen de télécommunication, afin de rechercher un accord sur la liste des témoins et des experts qui seront cités à l'audience, sur leur ordre de déposition et sur la durée de l'audience, notamment lorsqu'il a été fait application de l'article 380-2-1 A. / Si un accord intervient, il ne fait obstacle, en cas de nécessité, ni à la possibilité pour le ministère public et les parties de citer d'autres témoins ou experts que ceux qui avaient été prévus, ni à une modification de leur ordre de déposition. À défaut d'accord, il est procédé dans les conditions prévues aux articles 277 à 287 ".
14. D'une part, l'article D. 45-1-2 du code de procédure pénale, introduit par le III de l'article 5 du décret attaqué, prévoit que la " réunion préparatoire criminelle " prévue par les dispositions précitées de l'article 276-1 de ce code " peut se tenir avec l'assistance du greffier de la cour d'assises ". Si l'Union syndicale des magistrats soutient que cette disposition, en ne prévoyant qu'une présence facultative du greffier de la cour d'assises lors des réunions préparatoires criminelles, méconnaîtrait l'article 242 de ce code, qui dispose que la cour d'assises est, à l'audience, assistée d'un greffier, il résulte toutefois des dispositions de l'article 276-1 que cette réunion, qui se tient uniquement en présence du président de la cour d'assises, du ministère public et des avocats des parties, et dont le seul objet consiste à rechercher un accord sur la liste des témoins et des experts qui seront cités à l'audience, sur leur ordre de déposition et sur la durée de l'audience, ne peut être regardée comme une audience de la cour d'assises. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article D. 45-1-2, qui fixent compétemment les modalités d'application des dispositions législatives du code de procédure pénale, auraient méconnu l'article 242 de ce code doit être écarté.
15. D'autre part, en prévoyant que le procès-verbal que fait établir le président de la cour d'assises à l'issue de la " réunion préparatoire criminelle " ne fait pas état du contenu des échanges ayant eu lieu au cours de la réunion, les dispositions de l'article D. 45-1-2 du code de procédure pénale ne fixent pas de nouvelle règle de procédure pénale mais se bornent à déterminer les modalités d'application des règles fixées en la matière par le législateur à l'article 276-1 du code. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions de l'article 5 du décret attaqué empiéteraient sur les attributions du législateur en matière de procédure pénale et seraient par suite entachées d'incompétence doit être écarté.
Sur la légalité de l'article 6 du décret attaqué :
16. La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire a modifié les dispositions de l'article 495-15 du code de procédure pénale en vue d'étendre les possibilités de recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à des cas où le tribunal correctionnel ou, en cas d'appel, le chambre des appels correctionnels ont déjà été saisis. Aux termes de l'article 495-15 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi du 22 décembre 2021 : " Le prévenu qui a fait l'objet, pour l'un des délits mentionnés à l'article 495-7, d'une citation directe ou d'une convocation en justice en application des articles 390 ou 390-1, d'une convocation par procès-verbal en application de l'article 394 ou d'une ordonnance de renvoi en application de l'article 179 peut, soit lui-même, soit par l'intermédiaire de son avocat, indiquer au procureur de la République qu'il reconnaît les faits qui lui sont reprochés et demander l'application de la procédure prévue à la présente section. Dans ce cas, le procureur de la République peut, s'il l'estime opportun, procéder dans les conditions prévues à l'article 495-8, après avoir convoqué le prévenu et son avocat ainsi que, le cas échéant, la victime. L'acte de saisine du tribunal correctionnel est alors caduc, sauf si la personne n'accepte pas les peines proposées ou si le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par lui refuse de les homologuer, lorsque l'un ou l'autre de ces refus intervient plus de dix jours avant la date de l'audience devant se tenir sur le fond devant le tribunal correctionnel. / Le procureur de la République peut également prendre l'initiative de proposer au prévenu de procéder conformément au premier alinéa du présent article. / Le présent article est applicable tant que le tribunal correctionnel n'a pas examiné l'affaire sur le fond, y compris si celle-ci a fait l'objet d'une décision de renvoi. (...) ".
17. L'article D. 45-2-12 du code de procédure pénale, que crée le I de l'article 6 du décret attaqué, dispose que, lorsque la demande du prévenu prévue par l'article 495-15 de ce code tendant à l'application de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est adressée au procureur de la République plus de trois mois avant la date de l'audience fixée par le tribunal correctionnel, ce magistrat informe par tout moyen le demandeur s'il décide de ne pas mettre en œuvre cette procédure. Le dernier alinéa de cet article D. 45-2-12 précise que le défaut d'information du demandeur ne constitue cependant pas une cause de nullité de la saisine du tribunal correctionnel. L'article D. 45-29 du même code, que crée le II de l'article 6 du décret attaqué, prévoit des dispositions équivalentes, s'agissant de la procédure en appel. En outre, alors que l'article 495-15 précité du code de procédure pénale dispose que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité peut être mise en œuvre " tant que le tribunal correctionnel n'a pas examiné l'affaire sur le fond ", les articles D. 45-2-11 et D. 45-28, que crée l'article 6 du décret attaqué, prévoient respectivement, lorsqu'une affaire a été audiencée, que la décision du procureur de la République et, en appel, celle du procureur général de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne peuvent intervenir moins d'un mois avant la date prévue pour l'audience, sauf en cas d'accord du président du tribunal correctionnel et, en appel, du président de la chambre de la cour d'appel.
18. Les dispositions ainsi prévues par l'article 6 du décret attaqué ajoutent des règles à celles par lesquelles le législateur a organisé la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités d'application des règles fixées en la matière par le législateur. Elles relèvent, par suite, du domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution et sont entachées d'incompétence. Il y a lieu, pour ce motif, d'annuler l'article 6 du décret attaqué.
Sur la légalité de l'article 10 du décret attaqué :
19. L'article 10 du décret attaqué introduit dans le code de procédure pénale un article D. 593-2, qui dispose : " Dans tous les cas où, en application des dispositions du présent code, un avocat peut demander la délivrance d'une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2, 80-2, 114, 388-4, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3, il peut consulter ce dossier, l'avocat, son associé ou son collaborateur ou un avocat disposant d'un mandat écrit à cette fin peut, à l'occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l'utilisation d'un scanner portatif ou la prise de photographies. Il en est de même lorsque l'avocat consulte le dossier dans le cadre des procédures prévues par les articles 41-1 à 41-3-1 A. Cette reproduction est réalisée pour l'usage exclusif de l'avocat, qui ne peut la remettre à son client, si elle concerne un dossier d'instruction. / Cette reproduction ne fait pas obstacle au droit de l'avocat d'obtenir, dans les cas et dans les délais prévus par le présent code, une copie du dossier auprès de la juridiction. / Si le dossier est numérisé, l'avocat ne peut refuser d'en recevoir une copie sous forme numérisée, le cas échéant selon les modalités prévues par l'article 803-1, sauf, dans le cas prévu par les articles 114 et R. 165, décision contraire du juge d'instruction ; en cas de numérisation partielle du dossier, la copie de la partie du dossier non numérisée est remise sur support papier ".
20. D'une part, il ne résulte pas des dispositions législatives du code de procédure pénale prévoyant qu'un avocat peut demander à l'autorité compétente la délivrance d'une copie du dossier de la procédure pénale que le législateur aurait, dans ces cas, également entendu permettre que l'avocat puisse réaliser, par lui-même, une reproduction de tout ou partie de ce dossier à l'occasion de la consultation de celui-ci.
21. D'autre part, les articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du code de procédure pénale prévoient, dans le cadre des procédures qu'ils encadrent respectivement, que les avocats peuvent consulter le dossier ou que celui-ci est mis à leur disposition. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu, s'agissant des procédures concernées, limiter le droit des avocats à une simple consultation du dossier, sans leur permettre d'en obtenir une copie ni a fortiori d'en réaliser par eux-mêmes une reproduction intégrale ou partielle dans le cadre de cette consultation.
22. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article D. 593-2 du code de procédure pénale, qui prévoient que l'avocat peut réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l'utilisation d'un scanner portatif ou la prise de photographies, dans tous les cas où, en application de ce code, un avocat peut demander la délivrance d'une copie du dossier de la procédure pénale, ainsi que dans les cas où, en application des articles 77-2, 80-2, 114, 393, 394, 495-8, 627-6, 696-10, 706-105 et 803-3 du même code, il peut consulter le dossier, ont fixé des règles nouvelles et ne peuvent être regardées comme ayant simplement déterminé les modalités d'application des règles déjà fixées en ce domaine par le législateur. Il en va de même des dispositions de ce même article D. 593-2 qui permettent aux avocats de réaliser eux-mêmes des reproductions du dossier dans le cadre des procédures prévues aux articles 41-1 à 41-3-1 A du code de procédure pénale, lesquels ne comportent aucune précision relative à l'accès des avocats au dossier. Par suite, l'ensemble des dispositions introduites dans le code de procédure pénale par l'article 10 du décret attaqué relèvent du domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution et sont entachées d'incompétence. Il y a lieu, pour ce motif, de les annuler.
23. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 2, en tant qu'il crée le 2° de l'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale, ainsi que des articles 6 et 10 du décret attaqué. Le surplus des conclusions des requêtes doit, en revanche, être rejeté.
Sur les effets des annulations prononcées :
24. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
25. Eu égard aux conséquences manifestement excessives sur le fonctionnement du service public de la justice qui résulteraient de l'annulation rétroactive du 2° de l'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'article 2 du décret attaqué, ainsi que des articles 6 et 10 du décret attaqué, il y a lieu de déroger au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et de regarder comme définitifs les effets produits par ces dispositions antérieurement à leur annulation par la présente décision.
26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat les sommes de 1 500 euros et 50 euros à verser, respectivement, à l'Union syndicale des magistrats et à l'Association française des magistrats instructeurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les interventions du Conseil national des barreaux et de la Conférence des bâtonniers de France sont admises.
Article 2 : L'article 2, en tant qu'il crée le 2° de l'article D. 32-2-3 du code de procédure pénale, ainsi que les articles 6 et 10 du décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire sont annulés.
Article 3 : Les effets produits antérieurement à la date de la présente décision par les dispositions des articles 2, 6 et 10 du décret du 13 avril 2022, dont l'article 2 ci-dessus prononce l'annulation, sont définitifs.
Article 5 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à l'Union syndicale des magistrats et une somme de 50 euros à l'Association française des magistrats instructeurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Union syndicale des magistrats est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale des magistrats, à l'Association française des magistrats instructeurs, au garde des sceaux, ministre de la justice, au Conseil national des barreaux et à la Conférence des bâtonniers de France.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 24 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
ECLI:FR:CECHR:2024:464641.20240724