Présentation de la décision
Résumé
Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») sanctionne quatre sociétés du groupe Sony pour avoir abusé de leur position dominante sur le marché de la fourniture de manettes de jeux vidéo pour consoles PlayStation 4 (ci-après « PS4 »), en violation de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») et de l’article L. 420-2 du code de commerce.
La présente procédure intervient à la suite d’une saisine de l’Autorité par la société Subsonic, un fabricant français de manettes de jeux vidéo, qui commercialise notamment des manettes pour PS4.
La console PS4 est la console de huitième génération conçue par Sony, et commercialisée par elle depuis 2013. Sony a également conçu et commercialisé une manette pour PS4, appelée Dual Shock 4, dont un exemplaire est vendu avec la console.
Cette manette est la manette de référence pour les utilisateurs de la console PS4, d’autres manettes commercialisées par d’autres opérateurs étant également disponibles sur le marché. Certaines de ces manettes concurrentes sont licenciées par Sony dans le cadre d’un programme de partenariat dit Official Licensed Product (ci-après « OLP ») qui leur permet notamment d’utiliser le logo et la marque Sony. D’autres manettes sont également disponibles sur le marché sans bénéficier d’une licence OLP, comme c’est le cas pour les manettes de Subsonic ou d’autres fabricants (Suza, Proxima Plus, etc.).
Après avoir mis en évidence que Sony était en position dominante sur le marché de la fourniture de manettes pour PS4, l’Autorité a conclu qu’elle avait abusé de cette position dominante en mettant simultanément en œuvre deux pratiques : (i) des contre-mesures techniques visant à déconnecter de la console de jeux PS4 les manettes non produites ou non licenciées par elle, (ii) une politique d’octroi de licences opaque, dans le cadre du programme OLP difficile à intégrer en pratique.
Sony a équipé ses propres manettes, ainsi que les manettes de tiers licenciés, d’une puce contenant un numéro d’identification unique, qui, en principe, lui permet de les identifier. Elle a ainsi mis en œuvre des contre-mesures techniques, à l’occasion de certaines mises à jour de la console PS4, qui ont entraîné la déconnexion des manettes non dotées du numéro d’identification ou dotées d’un numéro dupliqué à grande échelle. Si certains fabricants ont pu répondre à ces déconnexions en proposant à leurs utilisateurs des « patchs » correctifs, les manœuvres de Sony leur ont été préjudiciables, les patchs n’étant pas disponibles immédiatement et pas toujours faciles à installer, si bien que les utilisateurs ont pu avoir l’impression que les manettes commercialisées par des tiers en dehors du programme OLP fonctionnaient mal.
Le seul moyen, pour les fabricants tiers, d’éviter ces déconnexions, était d’adhérer au programme OLP, afin de bénéficier d’un numéro d’identification. Or, les éléments du dossier montrent que les critères d’accès au programme OLP n’étaient pas communiqués à tous les fabricants qui en faisaient la demande et pouvaient se prêter, par leur imprécision, à une application discrétionnaire. Sony a ainsi systématiquement refusé d’indiquer ses critères d’adhésion à Subsonic, ainsi qu’à d’autres fabricants.
La combinaison de ces deux pratiques a significativement nui à l’image de marque des fabricants tiers, affectés, tant vis-à-vis des joueurs que vis-à-vis des distributeurs, freinant leur expansion sur le marché et conduisant à leur possible éviction.
Ce comportement aurait pu être justifié objectivement par la nécessité de lutter contre la contrefaçon, cet objectif étant considéré comme légitime par l’Autorité. Toutefois, Sony n’a pas été en mesure de prouver que la pratique en question était nécessaire et proportionnée à cet objectif. Au contraire, Sony n’a fait que présumer, sans apporter d’éléments de preuve convaincants à cet égard, que l’absence de licence démontrerait la violation de ses droits de propriété intellectuelle. Or, si Sony prétend détenir un grand nombre de brevets sur ses manettes, elle n’a pu produire aucun jugement qualifiant en France les manettes litigieuses de contrefaçons de brevets. Si deux jugements allemands, rendus dans une procédure d’urgence, ont pu estimer qu’un modèle de manettes de Subsonic commercialisé en Allemagne contrefaisait deux brevets de Sony, aucun jugement n’a étendu cette solution en France. Il apparaît au demeurant qu’à supposer illégal le modèle de manette de Subsonic en cause, la pratique mise en œuvre s’avère en tout état de cause largement disproportionnée, tant dans son champ que dans sa durée. Elle affecte en effet indistinctement les autres modèles de manettes de Subsonic et ceux d’autres fabricants. Par ailleurs, les deux brevets invoqués en justice ont expiré pendant la période des pratiques, ou étaient sur le point d’expirer, de sorte que les contre-mesures techniques pouvaient avoir pour effet de prolonger les droits exclusifs conférés par les brevets, une fois même l’invention tombée dans le domaine public.
L’Autorité en a ainsi conclu que Sony avait abusé de sa position dominante entre novembre 2015 et avril 2020, soit pendant la majeure partie de la vie de la console PS4, laquelle est appelée à terme à être remplacée par la PlayStation 5, sortie en 2020. Les sociétés condamnées au sein du groupe Sony sont :
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Sony Interactive Entertainment Europe Limited, en qualité d’auteure ; cette société est notamment chargée du programme OLP en Europe ;
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Sony Interactive Entertainement Inc. K.K. (Kabushiki Kaisha), en qualité d’auteure ; cette société est notamment chargée du déploiement des mises à jour du système d’exploitation de la console PS4, et à l’origine du programme OLP ;
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Sony Interactive Entertainement France, en sa qualité de société dont l’activité a été objectivement nécessaire à la réalisation de l’infraction ; cette société est chargée de la commercialisation des manettes Sony en France ;
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Sony Group Corporation en sa qualité de société mère.
Ces sociétés se voient infliger une sanction pécuniaire de 13 527 000 euros au titre de la présente décision.