Le colloque sur « L’amiable dans la justice économique et commerciale » qui a eu lieu le 29 février 2024, a été le deuxième colloque du cycle pluriannuel de conférences sur l’amiable dans la résolution des différends lancé par le premier président de la Cour d’appel de Paris, Jacques Boulard, avec pour objectif de mieux connaître tous les outils et les enjeux de l’amiable, d’acculturer les nouveaux dispositifs, de promouvoir l’amiable et d’offrir aux professionnels un espace de débats. Il a été organisé par la présidente Brigitte Brun-Lallemand, Isabelle Rohart, magistrate honoraire et l’auteur de ces lignes.
L’amiable tient depuis longtemps une place de choix dans les litiges en matière économique et commerciale. Il est souvent pris en compte comme un élément essentiel pour garantir la performance économique des entreprises.
Une première table ronde a démontré comment l’amiable a désormais acquis une place importante dans l’office du juge. Une deuxième table ronde s’est fondée sur des expériences de l’amiable dans différents contentieux (des conflits d’associés, des baux commerciaux, de la propriété intellectuelle, des entreprises en difficulté) pour tenter de répondre à plusieurs questions : pourquoi et comment l’amiable répond aux besoins spécifiques des opérateurs économiques ? Comment les tribunaux de commerce et le pôle économique de la cour d’appel de Paris y ont recours ? Quelles sont les pistes de réflexions et d’améliorations ?
Le colloque a réuni des juges, des professeurs de droit, des avocats, des médiateurs et des conciliateurs, des experts et mandataires judiciaires.
Le texte ici publié reprend les propos conclusifs du colloque dans lesquels deux questions ont été traitées : l’amiable pourquoi ? (I) et l’amiable comment ? (II).
I/ L’amiable pourquoi ?
Chaque rencontre sur l’amiable est une occasion de réfléchir sur son intérêt. D’où deux questions : Pourquoi développer l’amiable en général ? Pourquoi développer l’amiable en particulier en matière économique et commerciale ?
Pourquoi développer l’amiable en général ? Parce que c’est l’emblème d’une justice moderne. C’est-à-dire :
– une justice qui s’enrichit avec d’autres modèles de régulation (cette fois individuels),
– une justice qui s’interroge sur la meilleure manière de répondre aux besoins et intérêts de chaque justiciable,
– une justice qui a conscience tout autant de sa grandeur que des limites du droit,
– une justice qui (comme nous l’a dit dans ses premiers mots la présidente Brigitte Brun-Lallemand) « offre aux justiciables une chance de plus » de gérer leurs conflits en toute liberté, autonomie et responsabilité,
– une justice qui « élargit et étend l’office du juge » en l’entendant comme un « pouvoir de rétablir la paix », comme l’a exposé la présidente Sophie Valay-Brière,
– une justice qui « ouvre le champ des possibles », selon les termes de la présidente Sophie Guillarme.
Pourquoi développer l’amiable en matière économique ? Parce que l’amiable, c’est le triple A, emprunté aux agences de notation. Le A d’accompagner les parties dans la gestion de leur conflit. Le A de la solution adaptée (en ce qu’elle est sur mesure, constructive et originale) ; enfin le A de l’avantage de la maîtrise de la solution (qui est plus efficace et plus sûre) et du temps (qui est plus rapide).
Or ces trois atouts majeurs justifient que la justice économique et commerciale reconnaisse à l’amiable une place de choix à côté de la procédure et de la décision judiciaires dont la légitimité et la qualité ne sont pas pour autant mises en doute.
Tous les intervenants ont montré que l’amiable repose sur des valeurs que le mode économique connaît : la coopération, les gains ou bénéfices mutuels, l’intérêt commun. Il repose aussi sur des réalités économiques indéniables et chiffrables : la réduction du coût du conflit, du coût du temps du contentieux, la réduction des risques, les gains et avantages économiques liés à la solution amiable créatrice de valeurs et de richesses. Dès lors, l’amiable peut aussi être présenté au moyen de l’analyse économique, de l’analyse coût bénéfice.
Enfin et toujours en utilisant un vocabulaire économique, un juge ne consentira à l’amiable que s’il est certain que pour le justiciable c’est une valeur ajoutée par rapport à la décision judiciaire qu’il sera contraint de rendre en application des règles de droit et de procédure.
C’est ce qu’ont remarqué plusieurs intervenants.
Le président Frank Gentin a défendu la thèse selon laquelle en matière économique « l’amiable est dans l’ADN du juge ».
Premièrement, en droit des sociétés, la présidente Sophie Mollat a expliqué que « les conflits d’associés devraient par principe être orientés vers un processus amiable ». C’est aussi « le contexte de la société et ses acteurs » qui, selon le professeur Michel Germain, font des conflits d’associés « un terrain de choix pour la médiation » grâce à la possibilité qu’elle offre de traiter l’ensemble des problèmes. Quant au président Didier Faury, il a montré l’intérêt de la médiation pour les sorties d’associés qu’elles aient été organisées ou non car elle permet d’aboutir à un accord global.
Deuxièmement, en droit des baux commerciaux, la présidente Nathalie Recoules a expliqué que la médiation répond à « l’objectif partagé de valorisation du patrimoine » et la présidente Sophie Guillarme a montré que la médiation présente l’intérêt de construire une solution sur le long terme. Maître Gille Hittinger-Roux a exprimé que « le succès ne peut pas être une victoire de l’un contre l’autre ». En creux, la négociation c’est la victoire des deux consistant à apaiser et à construire. Toujours dans cette matière, Claude Amar présente la médiation comme l’opportunité de « discuter de toutes les idées, même les plus folles », pour répondre à la réalité, en utilisant les compétences du médiateur et des avocats. Dans ce sens, Maître Feral-Schul a rappelé l’importance, le rôle et l’intérêt des avocats dans la construction des solutions.
Troisièmement, en droit de la propriété intellectuelle, Isabelle Romet a montré par des exemples très concrets que par la considération des véritables besoins, la médiation a des enjeux importants d’adaptabilité et de création de valeur.
Quatrièmement, en droit des procédures collectives, la conseillère Isabelle Rohart a expliqué que « si les MARD en procédure collectives peuvent a priori paraître contre intuitifs », ils sont pourtant pertinents dans de très nombreux cas. Maître Leloup-Thomas a confirmé qu’elle « ne s’interdit pas d’intégrer à son activité tous les outils de l’amiable ». Et le président Patrick Coupeau a réaffirmé l’intérêt de l’amiable dès l’assignation de demande d’ouverture de procédure collective et pour de nombreuses autres questions.
II/ L’amiable comment ?
Après l’amiable pourquoi ? L’amiable comment ? Comment la justice institutionnelle peut-elle se donner les moyens techniques de promouvoir l’amiable en matière économique et commerciale ?
Le changement de paradigme a été démontré par le professeur Nathalie Fricero pour qui la politique de l’amiable lancée par le ministère, « entraînera nécessairement des modifications profondes de la justice économique et commerciale (dans les tribunaux de commerce, comme dans les juridictions judiciaires statuant dans le contentieux économique) ».
Au soutien des outils et pour accompagner ce changement, la doctrine a aussi forgé de nombreuses règles : le principe de proportionnalité, le principe d’équivalence, le principe d’adaptation, le principe de pluralité et de diversité des modes amiables, le droit fondamental à l’amiable, le droit à une médiation équitable. On pourrait en ajouter d’autres : le droit à la parole, à la discussion, au dialogue, aux échanges, pour illustrer la citation du philosophe Emmanuel Levinas quand il écrit que : « la justice est un droit à la parole ».
La science des techniciens du droit est aussi parfois nécessaire pour trouver des techniques juridiques sophistiquées d’articulation de la régulation judiciaire et de la régulation amiable, comme l’a montré la conseillère Françoise Barutel, à propos d’une transaction arrivant après un jugement d’annulation d’une marque ou d’un brevet. Force est de constater que les textes du Code de procédure civile les plus classiques peuvent être exploités dans ce domaine (notamment les articles 12 al 3 et 12 al 4 du Code de procédure civile).
Quant au CNM, sa présidente Frédérique Agostini a expliqué que « sa force est notamment dans sa composition plurielle » et qu’il a été précisément composé « des membres représentant les acteurs économiques, conscients voire experts des spécificités des contentieux économiques et commerciaux et des besoins des acteurs ».
Pour changer de modèle, de nombreuses voies ont été présentées et méritent d’être explorées :
*Pratiquer l’ARA lorsqu’elle sera étendue aux tribunaux de commerce et à la cour d’appel d’ici fin 2024 ;
*S’approprier le principe de proportionnalité, qui oblige à orienter l’affaire vers le circuit le plus adapté : médiation, conciliation, ou procédure judiciaire ; comme l’a montré la présidente Frédérique Agostini la réunion d’information permet de créer les conditions d’un premier dialogue ;
*Insister sur l’intérêt pratique de l’injonction de rencontrer un médiateur pour information (art. 127-1 CPC et art. 22-1 loi 8 février 1995) ;
*Faire prendre conscience de la latitude du juge dans le choix du mode amiable le plus adapté à la cause à tous les stades de la procédure, comme l’a exprimé le président Vincent Braud;
*Mieux faire connaître tous les outils et enjeux de l’amiable, la palette des modes amiables disponibles « dans toute leur entièreté », selon les mots de la présidente Brigitte Brun-Lallemand ;
*Développer et acculturer un socle commun de l’amiable dans toutes les juridictions (en application du principe d’égalité des justiciables devant la justice selon la professeur Natalie Fricero), de l’action en référé à la Cour de cassation, car s’il n’est jamais trop tôt, il n’est jamais trop tard (comme l’a expliqué la présidente Frédérique Agostini) ;
*« Transformer l’organisation des juridictions pour accueillir la diversité des modes amiables » selon les termes de président Vincent Braud et du président Patrick Sayer qui a évoqué la question du greffe du tribunal de commerce ;
*« Développer des réponses graduées », selon les termes de la présidente Sophie Mollat pour accompagner les parties sur le chemin de la médiation ;
*« Organiser des rendez-vous judiciaires de médiation », sur les préconisations de la présidente Sophie Mollat, de la présidente Nathalie Recoules et de la présidente Sophie Guillarme ;
*Mobiliser « la confiance dont bénéficie le juge pour engager, provoquer une dynamique qui sera ensuite portée par les parties, les avocats et le médiateur », comme y a invité Malik Chapuis pour qui « le juge est le technicien de l’introduction de l’amiable dans la procédure ».
Loin d’être un symbole de désinstitutionnalisation et d’affaiblissement des normes, l’amiable est le symbole d’une « Justice plurielle », d’une justice encore plus riche et plus inclusive.
Pour conclure, accueillir l’amiable c’est montrer que la justice est en progrès car l’amiable est non seulement un moyen de performance économique, mais aussi celui de la performance sociale et sociétale.
La cour d’appel de Paris va poursuivre sa ligne par trois prochains colloques dédiés à l’amiable en 2024, ce dont on ne peut que se réjouir, prévus les :
*31 mai 2024 à 14 heures « l’amiable en matière sociale »,
*9 octobre 2024 à 14 heures « l’amiable en matière familiale »,
*et 12 décembre 2024 « la procédure participative et la politique de l’amiable ».
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