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La célérité du procès pénal dans le cadre d’une justice équitable

     

Dr.Adil ELAABD





Bien que le temps soit un élément primordial pour garantir les droits de la défense et assurer une justice équitable pour toutes les parties du procès, la loi marocaine n’en fait aucune allusion.

Quant aux délais que le législateur exige pour l’accomplissement de certaines procédures durant les différentes phases du procès, ils ne semblent pas être en faveur de la personne poursuivie.

Pourtant, le rôle de l’espace apparaît nettement plus limité que celui du temps à l’égard du droit. Dans ce sens, les branches du droit s’inscrivent, effectivement, dans un temps résolument orienté vers l’avenir, et la norme pénale ne fait pas exception, car elle a, comme les autres branches, vocation à régir l’avenir ; elle naît de l’analyse du passé,
de l’observation du présent et surtout de la volonté de préserver le futur.

Si la matière pénale s’inscrit dans un temps résolument orienté vers l’avenir, elle s‘inscrit également dans un temps de l’instantané . L’instant joue un rôle très important s’agissant notamment du droit de la responsabilité pénale. L’instant où l’infraction est décidée est essentiel : la préméditation constitue une circonstance aggravante.

De même le moment où l’infraction est commise est capital : lorsque la violence fait immédiatement suite à une agression, elle pourra être constitutive du fait justificatif de légitime défense. Dans le même ordre d’idée, la date de la condamnation est fondamentale, lorsqu’une personne commet une infraction avant d’être définitivement condamnée pour une autre infraction, il y a concours réel d’infractions.

Lorsqu’au contraire, elle commet une infraction après avoir été condamnée définitivement pour une première infraction, il y a récidive et donc aggravation de la peine .

Le temps de déroulement de la procédure judiciaire est un temps subi par la défense, c'est-à-dire que la défense, au même titre que les parties non institutionnelles à la procédure, reste privée de moyens d’action en vu de mettre en cause les délais de la procédure. Or, ces délais ont une réelle importance pour la personne en procès, puisqu’ils participent à une modification majeure de sa situation .

Pour mieux comprendre le rôle du temps dans le déroulement de la procédure, nous allons dans un premier temps essayer d’analyser ses effets négatifs et positifs sur le procès pénal (I), puis étudier la notion du « délai raisonnable » dans le procès pénal (II).

I. Les effets du temps sur le procès pénal

Selon M. COULON, « chaque acteur judiciaire a sa propre logique et sa propre perception du temps » . Le magistrat, le policier, l’auteur des faits et la victime ne ressentent pas le temps de manière uniforme.
En effet, quelques mois de détention préventive sembleront nécessaires au juge d’instruction, parfaitement justifiés à la victime et particulièrement inacceptables et longs à l’auteur présumé des faits. Le temps de la procédure sera donc synonyme d’espoir pour certains, d’angoisse pour d’autres, ou seulement d’attente.
Dans l’investigation pénale, le temps apparaît de prime abord comme un obstacle ou une contrainte avec laquelle il faut compter.

Avec le temps, en effet, les indices disparaissent, les témoins oublient et les enquêteurs se démotivent. La recherche de la vérité devient de plus en plus délicate et la découverte de celle-ci de plus en plus incertaine.

Comme le souligne Jean PRADEL « toute affaire pénale doit s’étaler sur une certaine durée. Le travail de décantation des preuves exige du temps pour que la vérité se dégage » . Le temps a donc indéniablement une emprise sur l’investigation pénale. Une emprise que le législateur doit prendre en compte lorsqu’il élabore les règles relatives à l’investigation pénale.

L’investigation pénale, qu’elle soit menée au stade de l’enquête policière ou au stade de l’instruction préparatoire, entraîne nécessairement des atteintes aux libertés individuelles. La sûreté est malmenée lorsque sont effectués des contrôles et des vérifications d’identité. La sûreté est également compromise par les placements en garde à vue et en détention préventive.

Quant au droit au respect de la vie privée, il est mis à mal par les visites domiciliaires, les perquisitions, les saisies, les fouilles qui s’effectuent durant des heures décalées, ou encore les interceptions de correspondances écrites ou émises par la voie des télécommunications.

Le législateur, pour protéger, est amené à utiliser différents procédés, il détermine les personnes habilitées à ordonner les mesures attentatoires aux libertés individuelles, il précise les lieux où de telles mesures peuvent être pratiquées, mais surtout il fixe tantôt l’intervalle de temps pendant lequel ces mesures peuvent être effectuer, tantôt le temps pour modérer les atteintes aux libertés individuelles inévitablement engendrées au cours de l’investigation pénale.

Si le temps contribue à protéger les libertés individuelles, il contribue également à rendre effectifs les droits de la défense qui ne présentent en effet d’intérêt que s’ils sont aménagés dans le temps.

Le droit pour une personne arrêtée ou accusée d’être informée des raisons de son arrestation ou de son accusation, ou le droit pour une personne accusée de préparer sa défense doit nécessairement être temporellement définie .

Le temps nécessaire à l'aboutissement du procès constitue une donnée qu'il faut examiner comme un élément de stratégie. Dans un procès, une partie souffrira du retard apporté à la solution, alors que l'autre partie pensera, à tort ou à raison, que le temps lui profite.

La procédure naviguera des lots sur un rythme que l'un voudra ralentir, l'autre vaudra accélérer. Le praticien (l’avocat) interviendra pour influer sur le rythme du temps : faire durer lorsque ce sera l'intérêt de son client, forcer l'accélération dans le cas contraire.

A ces délais, purement stratégiques, s'ajoutent les délais nécessaires à l'examen de l'affaire par les tribunaux, en fonction des propres impératifs des agendas des juges.

L’avocat devra expliquer cela à son client, et tenter de lui faire comprendre qu'il n'est pas ou si peu, responsable du délai exorbitant nécessaire à l'obtention d'une décision de justice qui clôturera enfin un débat ; et que l'autre partie a aussi, le droit d'utiliser tous les moyens juridiques disponibles pour sa défense, et qu’elle doit disposer du temps nécessaire pour que s'exprime pleinement la contradiction.

En droit français, beaucoup d’auteurs soulignent que la spécificité des rapports entre le temps et la procédure pénale tient à l’impératif de célérité. Pour Roger MERLE et André VITU, le procès pénal serait caractérisé par « une rapidité voulue ».

La célérité, selon PRADEL, ne signifie pas précipitation, mais plutôt promptitude. Elle vise à donner au procès pénal « un rythme aussi rapide que possible, sans porter atteinte aux principes fondamentaux de l’ordre juridique, comme la présomption d’innocence ou les droits de la défense ».

La célérité en procédure pénale se justifie pleinement . En premier lieu, elle est nécessaire à une bonne obtention des preuves. Avec le temps, en effet, les preuves dépérissent, les indices s’effacent, les témoins oublient ou leurs
mémoires deviennent sélectives, d’où l’intérêt de rassembler ces preuves le plus rapidement possible.

A cet égard, M. E. LOCARD observait que « le temps qui passe, c’est la vérité qui s’enfuit ». D’ailleurs, c’est parce que l’abstention des preuves devient de plus en plus délicate avec le temps que la plupart des législations connaissent la prescription de l’action publique qui exclut toute poursuite au-delà d’un certain délai .

En deuxième lieu, la célérité est nécessaire pour les justiciables. La victime attend que justice lui soit rendue et que son préjudice soit réparé. Le délinquant attend d’être fixé sur son sort. D’ailleurs, la condamnation aura un impact d’autant plus important sur lui qu’elle sera rapide.

Selon Beccaria : « moins il se passe de temps entre le délit et la peine, plus fort et plus durable est dans l’esprit l’association de ces deux idées de délit et de peine, si bien qu’insensiblement l’un est considéré comme la cause et l’autre comme l’effet nécessaire et infaillible » .

En troisième lieu, la célérité est importante dans la mesure où l’opinion publique réclame une répression rapide surtout lorsqu’il s’agit d’infraction grave.

Seule une répression rapide peut permettre de rassurer et d’apaiser. Pour ces raisons, la célérité en procédure pénale est si essentielle qu’elle est recherchée depuis très longtemps .

II. L’exigence du délai raisonnable

Dans le préambule du Code de la procédure pénale, le législateur marocain déclare avoir déterminé des nouveaux délais pour l’accomplissement rapide de certaines procédures judiciaires . Or, les articles en l’occurrence (art. 180, 196, 215, 243...) , ne permettent pas encore aux accusés d’avoir un procès équitable respectant la notion du délai raisonnable .

Sachant que la principale raison d’être de la célérité des procédures réside dans la nécessité de veiller à ce que la personne poursuivie ne demeure pas trop longtemps dans l’incertitude de la solution qui sera réservée à l’accusation pénale portée contre elle.

Pour la période à prendre en considération au regard du droit à un délai raisonnable, elle commence au moment où une « accusation » est portée pour la première fois contre une personne. En outre, le moment pertinent est celui où
les soupçons dont l’intéressé était l’objet ont des répercussions importantes sur sa situation.

Il peut s’agir par exemple du premier interrogatoire de l’intéressé en tant qu’inculpé , de la notification officielle émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale...

La période pertinente prend fin au moment où l’accusé est fixé sur sa situation juridique. Ainsi, cette période dure au moins jusqu’à l’acquittement, la relaxe ou la condamnation, ou jusqu’à ce que la condamnation soit devenue définitive, même si elle ne le devient qu’en appel .

Le tribunal doit donc mettre en balance l’intérêt de la personne concernée à obtenir rapidement une décision d’une part et l’importance d’un examen approfondi et scrupuleux de la cause et d’une procédure judiciaire régulière d’autre part. De façon plus pressante que dans les autres garanties du droit à un procès équitable, le caractère « raisonnable » ou « non excessif » de la durée d’un procès est avant tout une affaire de cas d’espèce.

Il paraît en effet impossible de fixer des délais de « raisonnabilité » de la durée des procès de façon péremptoire et générale. Seule une évaluation de tous les éléments de chaque espèce peut permettre de déterminer réellement le respect du caractère raisonnable de la durée d’une procédure qui reflète ainsi la bonne administration de la justice .

A cet égard, la question de la lenteur des instances judiciaires constitue, au Maroc, un problème sensible, dont les causes habituelles sont multiples et variées. Elles peuvent reposer tout d’abord sur le manque de moyens budgétaires ou le manque de personnel judiciaire (magistrats, greffiers, assistants de justice, services de police judiciaire), étant précisé que le manque de personnel est généralement une conséquence du manque de moyens budgétaires.

Elles peuvent également reposer dans l’organisation interne des juridictions (nombre limité de chambres de jugement, existence parallèle de deux ordres de juridiction impliquant des renvois de compétence) ou dans la complexité de la procédure (nombre de recours possibles, existence ou non d’une procédure de tri des requêtes, existence ou non de procédures d’urgence).

Mais l’Etat peut ne pas être le seul responsable de la lenteur de ses juridictions, dont la responsabilité peut parfois incomber aux plaideurs eux-mêmes, qui peuvent freiner la procédure de façon active (exercice répété et systématique des voies de recours, présentation d’exceptions de procédure ou de demandes de renvois d’audience) ou passive comme l’absence de diligence d’une partie, ou la non communication de conclusions ou pièces .

Pour cette raison, une procédure (d’information, d’instruction ou de jugement) trop longue peut s'avérer déraisonnable. Ainsi, la longueur de la procédure peut engendrer des difficultés à récolter des preuves et compromettre la défense du prévenu. En sens contraire, une procédure expéditive porte aussi atteinte aux droits du
prévenu puisqu’elle ne lui laisse pas un délai raisonnable pour organiser sa défense.

Néanmoins, la notion du délai raisonnable constitue actuellement une dimension internationale, dont les dispositions pertinentes sont l’article 6 al. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui déclare que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable... » .

Conformément à alinéa 3 de l’article 5 de la même Convention, les juridictions d’instruction et les juridictions de jugement sont tenues d'effectuer leurs tâches dans un délai raisonnable. «Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable » .

En outre, l'article 14.3 du pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques vise également les personnes accusées d'une infraction pénale : « Toute personne accusée d'une infraction pénale a le droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : (…) c) à être jugée sans retard excessif ».

Ces deux dispositions internationales ont la même portée et le même but, de sorte qu’en contrôlant la cause à la lumière de l’exigence du délai raisonnable de l’article 6 de la convention, les juges l’ont nécessairement également contrôlée à la lumière de l’exigence d’un jugement sans retard excessif, prévue à l’article 14.3.c du pacte international .

Espérons que ces deux dispositions internationales auront un effet et une influence directe sur l’ordre juridique marocain.

Cette exigence de célérité a donc été instaurée dans l’intérêt de la personne poursuivie. Mener une procédure dans un délai raisonnable permet encore d’assurer une certaine sécurité judiciaire dès lors qu’une condamnation tardive présente un risque non négligeable d’erreurs judiciaires et d’injustices du fait de la fragilité des éléments de preuves de culpabilité et de la disparition des moyens de défense.

Il est à souligner que la notion du délai raisonnable exige le droit d’avoir le temps nécessaire à l’accusé pour préparer sa défense. Ainsi, l’article 6.3.b de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales dispose que « Tout accusé a droit (…) à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».

Pareillement, le pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce que « Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, (…) à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix ».

Ceci explique qu’il soit informé de l’objet de l’accusation et de la date du procès longtemps à l’avance. Il ne suffit dès lors pas que les apparences de la justice soient demeurées sauves et que les parties aient bénéficié des facilités nécessaires à la préparation de leur défense pour que l’exigence de procès équitable se trouve rencontrée en l’espèce. Le droit à un procès équitable n’est pas garanti du seul respect purement formel des règles de procédure, le prévenu doit effectivement disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense .

Selon Beccaria, une fois la validité des preuves reconnue et l'existence du délit bien constatée, il est juste d'accorder à l'accusé les moyens et le temps convenables pour se défendre ; mais il faut que ce temps soit assez court pour ne pas retarder trop le châtiment, qui doit suivre de près le crime, comme nous l'avons déjà dit, si l'on veut qu'il soit un frein utile contre les scélérats.

L'amour mal entendu de l'humanité pourra s'élever contre la célérité que nous demandons dans l'instruction des procès criminels ; mais il reviendra bientôt à notre avis, s'il considère que le défaut contraire dans la législation fait courir à l'innocence des dangers bien plus multipliés.

C'est aux lois seules à fixer le temps qu'on doit accorder à l'accusé pour sa défense, et celui qu'on doit employer à la recherche des preuves du délit .

Le fait de rester longtemps sous le coup d'une accusation pénale risque de porter atteinte à la dignité humaine et de provoquer des perturbations tant psychologiques que physiologiques.

Par conséquent, il est nécessaire d'éviter de laisser l'inculpé dans l'incertitude et de ne pas prolonger indûment ses souffrances.

En effet, la réduction de la durée des procédures est une attente légitime des justiciables qui se plaignent, de façon récurrente, des lenteurs de la justice dont le plus atteint de cette lenteur est l’accusé. D'autant plus que, dans un Etat de droit, chaque personne poursuivie est présumée innocente.

Enfin, l'écoulement d'un temps très long, entre la commission de l'infraction et la sanction, est également susceptible de rendre la condamnation moins utile.

Références :

- Mohammed MARZOUGUI, Code de procédure pénale, Traduction intégrale non-officielle, Librairie Dar Assalam, 1er édition, Rabat, 2009.

- François OST, Les multiples temps du droit. Le droit et le futur, Paris, édition PUF, 1985.

- Claire ETRILLARD, Le temps dans l’investigation pénale, édition Harmattan, 2004.

- Serge GUINCHARD, Le temps et la procédure, édition Dalloz. 1996.

- Jean-Marie COULON, Les solutions à l’office du juge, in le temps de la procédure, édition Dalloz, 1996.

- Jean PRADEL, La célérité de la procédure pénale en droit comparé, édition RIDP, 1995.

- Jean PRADEL, La célérité du procès pénal, édition RICPT, 1984.

- Fabienne QUILLERE MAJZOUB, La défense du droit à un procès équitable, édition BRUYLANT Bruxelles, 1999.

- DECLERCQ. L, « Le délai raisonnable ou le retard excessif dans les affaires pénales : art. 6, al. 1er de la Convention européenne des droits de l'homme », Revue de droit pénal, 1989.

- Cesare BECCARIA, Traité des délits et des peines, traduit en français par Chevallier, chapitre XXX, édition Flammarion, 1991.

- Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, tome II, n° 50, problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal général, 7ème édition CUJAS, 1997.

- Franklin KUTY, Le droit à un procès équitable au sens de la jurisprudence strasbourgeoise en 2001, édition JLMB, 2002.

Agadir, le 16 janvier 2011





Date de réception: 2 octobre 2011
Date de publication: 3 octobre 2011


 

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الاحد 2 أكتوبر 2011
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