La responsabilité, de manière générale, est l’obligation juridique et légale de réparer le dommage ou le préjudice certain (matériel, moral, esthétique, d’agrément, de jouissance, perte d’une chance ou préjudice par ricochet) que l’on a causé à autrui (atteinte à l’être vivant[[1]]url:#_ftn1 ), ou à l’ordre public, non seulement par son fait (faute, négligence ou imprudence), mais aussi par le fait des personnes dont on doit répondre, (des animaux) ou des choses que l’on a sous sa garde (art. 1382, 1383 et 1384 ou nouveaux art. 1240, 1241, 1242 du code civil fr.).
Administrative liability without fault or on the basis of risks in comparative law and in Moroccan law
In addition to administrative liability for fault, the judiciary, whether comparative or Moroccan, also decides on administrative liability without fault or on the basis of risks because this judicial global approach in administrative matter is important in protecting the rights and freedoms of individuals and persons and reparing the damages resulting from the administration’s activity in the event of risks or the breakdown of equality in public charges.
Ainsi, au sens de cette définition, entends-je tous les engagements qui se forment avec ou sans convention, et qui rentrent dans le cadre de la responsabilité civile, pénale, administrative, sociale, commerciale, ou encore interne ou internationale, avec toutes leurs composantes : responsabilité contractuelle ou quasi-contractuelle, responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle (des sources d’obligations, le contrat, la responsabilité extracontractuelle, art. 1100 à 1303 A, code civil fr. version en vigueur au 16 juin 2024 ; des obligations en général, des causes des obligations, des obligations qui dérivent des conventions et autres déclarations de volonté, art. 1 à 477, Code des obligations et contrats, des différents contrats déterminés et des quasi-contrats qui s’y rattachent, art. 478 à 1250, C.O.C.[[2]]url:#_ftn2 ).
S’agissant de la seule responsabilité administrative, c’est l’obligation de l’administration (concentrée, centralisée, déconcentrée, décentralisée, régionalisée, ou fonctionnelle), de son propre chef, ou sur injonction du juge administratif, de réparer les préjudices et dommages, matériels, corporels, moraux ou esthétiques causés à autrui (personnes physiques ou morales selon la nature du danger), par le fait ou la faute qui lui sont, directement ou indirectement, imputables. En effet, L’engagement de la responsabilité des personnes publiques repose sur des fondements doctrinaux et/ou jurisprudentiels bien déterminés, comme la faute, le risque, la rupture de l’égalité devant les charges publiques, la responsabilité de l’État, au sens large, du fait des personnes dont elle a la garde ou des risques dont il est le garant. V. également A. Van Lang, Le droit de la responsabilité administrative, Nantes Université, accessible sur le Web.
Dès lors que la responsabilité est engagée reste à préciser sa nature, sa proportion et le taux d’indemnisation, en ce sens que cette responsabilité peut être totalement administrative ou éventuellement judiciaire, occasionnée par une EPIC durant ses activités de vente et de production de biens et de services, incombant entièrement à l’administration ou répartie entre les différents responsables en fonction de leur degré d’implication : administration, entreprise, victime. Toutefois, certaines circonstances, dont la charge de la preuve incombe à l’administration, à l’exemple de la force majeure, de cas fortuit, du fait d’un tiers ou de celui de la victime elle-même, peuvent, selon le degré d’implication de l’administration, l’exonérer totalement ou partiellement. Aussi, la responsabilité administrative pour risque, ou la probabilité d’un évènement dommageable, ne dépendant pas forcément de la volonté des parties, de se produire et ses conséquences, que nous allons traiter dans le présent article se répartira en trois volets : La responsabilité pour risque reconnue pour les collaborateurs permanents ou occasionnels des services publics, la responsabilité pour risque reconnue en raison de l’existence d’un "risque spécial de dommage" et la responsabilité pour risque reconnue en raison d’un "risque social"[[3]]url:#_ftn3 .
1.La responsabilité pour risque reconnue pour les collaborateurs permanents ou occasionnels des services publics
C’est par l’arrêt Cames du 21 juin 1895 que le Conseil d’État a admis pour la première fois que la responsabilité de l’État pouvait être engagée en l’absence de faute de ce dernier (C.E. 21 juin 1895, CAMES, Rec. 509, concl. Romieu, Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administratives (G.A.J.A.), Dalloz, 12e édition, 1999, p. 38 - 42). Dans l’espèce, un ouvrier d’un arsenal militaire s’était blessé, sans qu’une négligence ou une imprudence de sa part puisse lui être reprochée. Cette blessure l'ayant mis dans l’impossibilité de se servir de l’une de ses mains et de pourvoir à sa subsistance, il intenta une action contre l’État.
Le commissaire du gouvernement Romieu avait estimé dans ses conclusions qu’il appartenait "au juge administratif d’examiner directement, d’après sa conscience, et conformément aux principes de l’équité, quels sont les droits et les obligations réciproques de l’État et de ses ouvriers dans l’exécution des services publics, et notamment si l’État doit garantir ses ouvriers contre le risque résultant des travaux qu’il leur fait exécuter".
Précédant ainsi la première loi majeure couvrant le risque professionnel (loi du 9 avr. 1898), le Conseil d’État a donc accepté l’indemnisation de ces collaborateurs permanents sur le fondement du risque encouru à raison de l’exercice de leurs fonctions.
Force est de constater que, même après l’entrée en vigueur de cette législation relative aux pensions et aux accidents du travail, le Conseil d'État a continué à admettre ce type de responsabilité pour couvrir le préjudice esthétique ou moral (non couvert par le régime des pensions) et compléter le montant de l’indemnisation.
Le Conseil d’État est allé plus loin en étendant le bénéfice de la théorie du risque à la catégorie des "collaborateurs occasionnels des services publics" dans l’arrêt d’assemblée du 22 nov. 1946, Commune de Saint-Priest-la-Plaine (C.E. Ass. 22 nov.1946, Commune de Saint-Priest-La-Plaine, Rec. 279, D. 1947, 375, note Blaevoet ; S. 1947.3. 105, note F.P.B., Les G.A.J.A. op.cit. p. 388 - 396).
En l’espèce, deux bénévoles avaient accepté de tirer un feu d’artifice à l’occasion d’une fête locale - qui a été considérée comme un service public car il s’agissait d’une manifestation habituelle - et avaient été blessés par l’explosion prématurée d’un engin pyrotechnique sans qu’aucune imprudence puisse leur être reprochée.
Les collaborateurs occasionnels des services publics sont les personnes qui apportent leur concours aux services publics, soit de manière spontanée, soit en y étant requises.
Les hypothèses visées sont donc multiples et variées puisqu’elles peuvent concerner aussi bien une personne qui apporte son concours aux agents de police pour arrêter un délinquant qu’une personne qui porte secours à un noyé.
Le juge procède cependant à un examen des conditions qui ont mené l’individu à "participer" au service public, notamment au regard de "l’urgente nécessité" de cette intervention. Il vérifie également les situations où l’individu a dépassé le cadre normal de ce qui pouvait être attendu de lui "en contrepartie des avantages que lui apporte le service public". On citera ainsi l’exemple d’un candidat au baccalauréat qui a ramassé des balles lancées par d’autres candidats sur la demande de l’examinateur, qui a été blessé à cette occasion, et qui n’a pas pu être indemnisé sur ce fondement.
Le Conseil d’État fait pourtant preuve d’une attitude compréhensive en admettant l’indemnisation des collaborateurs des services publics qui ont apporté leurs concours à des membres de leur famille ou à des intimes (C.E. Sect. 1er juill. 1977, Commune de Coggia, Rec. 301 ; A.J. 1978. 286, concl. Morisot ; R.D.P. 1978. 1141, note M. Waline, Les G.A.J.A. op.cit. p. 394).
S’agissant du Maroc, la gestion volontaire des affaires d’autrui, au sens large, c’est-à-dire la situation où une personne (un gérant), agit pour le bien d’une autre personne, (le propriétaire ou le maître de l’affaire), qui n’est pas en état, pour telle ou telle raison, d’y pourvoir lui-même, existait déjà dans l’histoire de l’État musulman. Elle existait d’abord dans la pratique quotidienne basée sur les principes de solidarité, de justice de cohésion sociale et de bienveillance, et se pratiquait ensuite en tant qu’institution juridiquement reconnue par les sources de droit musulman, le fiqh et usûl l’fiqh (Coran, Sunna, Ijmâ, ijtihâd, Qiyas…), et leurs applications dans le cadre des contrats, de la propriété et ses dépendances, de l’indivision, et d’autres règles encore qui régissaient les pratiques commerciales, civiles et foncières (héritage, biens habous, terrains morts mis en valeur par autrui, terrains nus, pâturage, domaines…).
Le Code des obligations et contrats, du 12 août 1913, tel qu’il a été modifié et complété, en 1993, 1995, 2002, 2007, 2011, 2016, 2019, prévoit dans son chapitre cinquième : des quasi-contrats analogues au mandat de la gestion d’affaires, et plus particulièrement l’art. 943, « Lorsqu’on gère volontairement ou par nécessité les affaires d’autrui, en son absence, ou à son insu, il se constitue un rapport de droit analogue au mandat, qui est régi par les dispositions » des arts, de 944 à 958, et nécessite de ce fait indemnisation du gérant de tous les frais (art. 949), comme s’il s’agissait d’un mandataire (art. 914).
Le Code civil français du 21 mars 1804, tel qu’il a été modifié et complété, à maintes reprises, et notamment le 1er oct. 2016, fixe dans ses arts. 1301 à 1301-5, le régime de la gestion d’affaire d’autrui. L’art. 1301 prévoit : « Celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire ». « Il est tenu, poursuit l’art. 1301-1, d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable » ; et l’art. 1301-2 d’ajouter : « Celui dont l’affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant ».
Les collaborateurs permanents ou occasionnels des services publics bénévoles, victimes d’un accident sont indemnisés sur la base de la législation marocaine en vigueur : la loi du 25 juin 1927 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, B.O. n° 766 du 28 juin 1927, modifiée par la loi n° 18-12 de 2015 relative à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui s’aligne sur les conventions internationales du travail ratifiées par le Maroc, ainsi que la loi du 31 mars 1961, relative à la réparation des accidents du travail, B.O. 1961, p. 510, étendant le bénéfice de la loi de 1927 aux collaborateurs occasionnels, M. Rousset, Droit administratif marocain, éd. La Porte, p. 802. V. également, dans le même ordre d’idées la loi du 2 oct. 1984 relative à l’indemnisation des victimes causées par les véhicules, B.O. n° 3753 du 3 oct. 1984.
La question des collaborateurs occasionnels du service public, au Maroc, c’est-à-dire les personnes qui offrent leur service spontanément à la collectivité, ce qui relève en effet de la gestion des affaires d’autrui, est la production en grande partie de la jurisprudence comparée, mais aussi de la législation marocaine, ancienne (Charia, pratique islamique) et actuelle, permettant ainsi d’étendre la gratitude et/ou l’indemnisation à ces bénévoles. En effet, les personnes publiques (État, C.T., EEP) sont directement responsables des dommages causées à ces collaborateurs occasionnels dans le cadre du service rendu pour l’intérêt desdits personnes, qui est en définitive l’intérêt collectif ; la souscription par l’État d’une assurance est en l’occurrence recommandée pour la couverture de tout risque éventuel causé aux victimes de ces missions de service public. La consultation des polices d’assurances sur les risques encourus dans l’exécution des S.P. du Bureau Central Marocain des Sociétés d’Assurances n’est pas inintéressante en la matière.
المكتب المركزي المغربي لشركات التأمين ضد حوادث السير
2. La responsabilité pour risque reconnue en raison de l’existence d’un "risque spécial de dommage"
La théorie du risque s’appuie sur l’idée selon laquelle l’activité de l’administration peut conduire les administrés à encourir un risque malgré eux. Ce risque, s’il se réalise, place les administrés dans une situation inconfortable dans la mesure où aucune faute ne peut être reprochée à l’administration.
Or, "celui qui, à l’occasion d’une activité qui lui est profitable, crée un risque de dommages pour autrui doit en répondre si le risque se réalise". Il est donc naturel, et équitable, que la victime puisse être indemnisée (C.E. Ass. 24 juin 1949. 87335, Rec. Lebon, arrêt Mme Daramy, Président M. Rouchon Mazerat, Rapporteur public, M. Barbet, Rapporteur M. Letourneur, disponible sur le web ; Jean Waline, Droit administratif, Paris, Dalloz, 2014, p. 489, in H. Qazbir, L’indemnisation des victimes d’actes terroristes : responsabilité publique ou garantie sociale ? Les annales de droit, 2018, Open Edition Journals ; Code de l’organisation judiciaire, l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, art. L2017-6, modifié par la loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023 art. 25, version en vigueur au 13 oct. 2025).
La jurisprudence comparée a ainsi reconnu la responsabilité des personnes publiques dans un certain nombre de cas (C.E. Sec. 17 avr. 1953, Pinguet, Rec. 177 ; S. 1954.3.69, note G. Robert, D. 1954.7, note G. Morange : cas d’un passant blessé par un malfaiteur à la poursuite duquel il s’était spontanément lancé, Commune de Grigny, Les G.A.J.A., op.cit. p. 395).
A) - La responsabilité du fait des choses dangereuses
En l’espèce, il s’agissait de l’explosion d’un dépôt de grenades et de bombes incendiaires en pleine ville, dépôt d’armes qui faisait également l’objet de manutentions fréquentes. Le juge administratif a considéré, dans l’arrêt Regnault-Desrosiers du 28 mars 1919, que "ces opérations effectuées dans des conditions d’organisation sommaires, sous l’empire des nécessités militaires - la Première guerre mondiale - comportaient des risques excédant les limites de ceux qui résultent normalement du voisinage, et que de tels risques étaient de nature à engager, indépendamment de toute faute, la responsabilité de l’État" (C.E. 28 mars 1919, Regnault-Desrosiers, Rec. 329, R.D.P ; 1919. 239, concl. Corneille, note Jèze ; D. 1920.3.1, note Appleton ; S. 191-1919.3.25, note Hauriou).
C’est donc sur le fondement du risque anormal de voisinage que le Conseil d’État a accueilli la demande. Il a également reconnu - dans un arrêt d’assemblée : Consorts Lecomte du 24 juin 1949, cas des passants blessés - que l’emploi d’armes à feu par la police pouvait engager la responsabilité sans faute de l’administration en raison de la dangerosité des armes en question, voir dans le même sens, à propos de l’usage d’armes par les forces de police, la Cour de Rabat, arrêt du 20 nov. 1951, Recueil des arrêts de la Cour d’appel de Rabat (R.A.C.A.R.), et arrêt du 15 mars 1960, et tribunal de Rabat, jugement du 10 mai 1961, cité par J. Prat, La responsabilité de la puissance publique au Maroc, p. 144, cité par M. Rousset, op.cit. p. 800, et la Cour suprême, arrêt agent judiciaire c/ M’hamed Ben Abdesslem Doukkali, R.A.C.A.M., 1966, p. 457, cité par M. Rousset, op.cit. p. 800.
Toutefois une telle responsabilité ne saurait être engagée qu’à la double condition que les dommages subis excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’existence du service public de la police, et que la victime n’a pas contribué, par son attitude, à la réalisation du dommage (C.E. Ass. 24 juin 1949, Consorts Lecomte, Rec. 307, S. 1949.3.61, concl. Barbet; J.C.P. 1949. II. 5049, concl. Barbet, note George; D. 1950.5, Chr. Berlia et Morange; R.D.P. 1949.583, note Waline, G.A.J.A., op.cit. p. 419-425). On peut également intégrer dans cette catégorie, l’arrêt du coup de canon de la kasbah des Oudaya à Rabat, tiré chaque jour à midi, dans les années trente, et qui par effet, brisait les vitres des immeubles voisins, v. Cour d’appel de Rabat, du 21 janv. 1928, R.A.C.A.R., p. 330, cité par M. Rousset, op.cit. p. 798.
Les « choses dangereuses » peuvent être, selon le Conseil d’Etat, des armes, telles que les armes à feu, les pistolets, mais pas les grenades lacrymogènes, ou les distributions d’énergie et d’eau, tels que les réseaux d’adduction d’eau ou les routes exposées à des chutes de pierres (Les G.A.J.A., op.cit. p. 421). En revanche, la Cour suprême, arrêt Ville de Tanger c/ Martin, du 16 juil. 1959, condamna la Ville à indemniser le sieur Martin du préjudice subi à cause des travaux municipaux obstruant le lit de la rivière qui déborda, aux moments de grandes pluies et inonda le fonds de commerce du sieur Martin (M. Rousset, op.cit. p. 795). De la même manière la Cour d’appel de Rabat, arrêt Héritiers Marc, du 28 oct. 1941, condamna l’Etat à réparer les dommages dus aux inondations causées aux victimes par l’exécution de travaux publics, ou encore la décision de la Cour suprême, Consorts Mazover, R., p. 203, du 9 janv. 1960, condamna l’Etat à réparer le dommage causé par des lignes électriques au-dessus d’une propriété (M. Rousset, op.cit. p. 794).
B) - La responsabilité pour risque afférente aux activités dangereuses
C’était essentiellement les activités de l’administration en matière de rééducation et de réinsertion des délinquants qui étaient visées à l’origine comme il résultait de l’arrêt de section Thouzellier du 3 février 1956 (C.E. du 3 févr. 1956, Thouzellier, Conseil d’Etat statuant au contentieux, publié au Rec. Lebon, p. 49, Section MM. Fournier, rapp. Landron, c du g. disponible sur le net). Il s’agissait, en l’espèce, des permissions de sortie qui pouvaient conduire ces délinquants à faire courir de grands risques aux administrés qui, s’ils se réalisaient, leur ouvraient droit à indemnisation. La même solution a été appliquée aux permissions de sortie accordées à titre thérapeutique aux patients des hôpitaux psychiatriques (C.E. Sect. 31 déc. 1976, 97517, Rec. Lebon ; C.E. sect. 13 juill. 1967, 65735, Rec. Lebon, C.E. 5/3 SSR, 13 mai 1987, 49199, Rec. Lebon, in O. Henri, Responsabilité médicale et psychiatrie, HAL archives ouvertes, 2015, p. 153-156, accessible sur le web).
Aujourd’hui davantage encore, la même jurisprudence du Conseil d’Etat, admet dans l’arrêt Bianchi du 9 avril 1993, la responsabilité pour risque de l’administration hospitalière dès lors que ses activités médicales comportent un "aléa thérapeutique" (v. dans le même ordre d’idées l’indemnisation des victimes d’accidents thérapeutiques, Service des Affaires Européennes, nov. 2000, disponible sur le web).
Elle a également admis, arrêt d’assemblée du 26 mai 1995, Ets Nguyen, Jouan, Ets Pavan, la responsabilité des centres de transfusion sanguine en raison des "conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis". Ces établissements avaient le monopole des opérations de collecte de sang et avaient pour mission d’assurer le contrôle médical des prélèvements, du traitement, du conditionnement et de la fourniture aux utilisateurs (CE, Ass., 26 mai 1995, Consorts Nguyen, Jouan, Pavan, n° 151798).
En l’espèce, le Conseil d’Etat s’est aligné sur la jurisprudence de la Cour de cassation, qui, quelques semaines auparavant, était arrivée au même résultat mais en se fondant de son côté sur l’obligation de sécurité qui pèse sur les centres (Civ. 1ère, 12 avr. 1995, Consorts Martial, Bull. civ. II, n° 180, p. 130 ; v. dans le même ordre d’idées Chr. Guettier, Le traitement des catastrophes par le droit de la responsabilité administrative p. 71-90, Risques, études et observations, 2011, Les sciences juridiques à l’épreuve des catastrophes et des accidents collectifs Retour sur 15 ans d’expérience, d’expertise et de réflexions, disponible sur le web).
Dans le domaine médical, comme dans d’autres domaines où la dangerosité était avérée, à l’exemple du terrorisme ou de l’amiante, le législateur s’est résolument préoccupé du sort des victimes, même parfois à l’encontre de la jurisprudence du Conseil d’État. C’était le cas de "la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire", dont l’indemnisation, a été effectuée par l’O.N.I.A.M., Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, qui, en l’occurrence, vaut transaction. Aussi, la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ouvre-t-elle le plein droit à la réparation des préjudices des patients victimes d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes et d’infections nosocomiales et à la solidarité nationale due aux victimes, dès lors que la responsabilité de l’agent de l’administration ou celle de la partie contractante : médecin, professionnel, établissement ou producteur n’est pas engagée (cf. L’affaire du Stalinon, à la vitamine F, en France, en juillet 1954 et l’affaire du Distilbène, aux E.U.A., novembre 1971, l’affaire Vioxx, septembre 2004, de l’épidémiologie du risque concernant des effets indésirables des médicaments, les problèmes de toxicité et de surdosage, cf. Le Monde, France Observateur, Paris - Match, des notes et commentaires des périodiques juridiques comme : Gazette du Palais, Recueil Dalloz, Jurisclasseur, Revue des Sciences criminelles, ainsi que la Presse médicale, Bulletin de l’Académie de Médecine… et concernant la crise du Distilbène aux Etats-Unis cf. New York Times et Washington Post).
On peut également, dans le même ordre d’idées, et dans le cadre de traitements médicaux risqués, citer l’arrêt sieur Pasquis, de la Cour d’appel de Rabat, du 4 janv. 1940, R.A.C.A.R., p. 423, et la décision Zouined Hamou, de la Cour suprême, n° 346, du 26 nov. 1979, J.C.S. 1981, n° 28, p. 3, condamnant respectivement l’Etat aux dommages-intérêts au bénéfice des victimes (M. Rousset, op.cit. p. 801-802).
C)- La responsabilité sans faute liée à l’existence d’un risque spécial de dommage pouvait être engagée en raison de situation dangereuse
L’exemple typique est celui de l’enseignante enceinte contrainte d’assurer son service à l’école alors que sévit dans l’établissement une épidémie de rubéole. Elle s’est trouvée contaminée et son enfant a subi des malformations (C.E., Ass., du 6 nov. 1968. 72636, Dame Saulce, Rec. Lebon, rapporteur public M. Bertrand, rapp. Mme Bauchet, accessible sur le web).
A noter également dans le même ordre d’idées : Les sagas de 30 septembre 2004 (6/8), comment la pilule Vioxx a gangréné l’industrie ; les « Évènements indésirables dans le système de santé », Revue Française des Affaires Sociales, de 2007/3-4 pages de 123 à 151 ; ou encore la conjonction dans les années 80 entre crise agricole et crise médicale (ou crise de santé publique), concernant les additifs alimentaires, les insecticides et les pesticides aux États-Unis d’Amérique et en Europe…
3. La responsabilité pour risque reconnue en raison d’un "risque social"
La responsabilité administrative peut également être mise en jeu en raison d’un risque social lié à des attroupements ou des rassemblements. Ces attroupements ou rassemblements, de quelque nature qu’ils soient - manifestations politiques, mouvements sociaux et grèves sur les espaces publics, émeutes, fêtes de village ou évènements sportifs - peuvent en effet entraîner des dommages aux biens ou même aux personnes. Traditionnellement, le juge administratif accepte l’indemnisation des victimes en cas de dommages causés aux particuliers du fait des crimes et délits commis sans que les forces de police aient pu les empêcher.
Cependant dans ce domaine, comme dans celui de la responsabilité reconnue en raison d’un risque spécial de dommage, le législateur est intervenu pour assurer l’indemnisation la plus équitable des victimes. Selon l’ancien article, français, L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) : "L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis (…) par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés (…). Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée". Dans le même esprit le nouvel article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure, dispose : « L’État est civilement responsable des dégâts résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».
Il s’agit, en l’occurrence, d’un régime de responsabilité sans faute des pouvoirs publics (État et / ou collectivités territoires) favorable aux victimes du fait de dommages subis lors d’attroupements ou rassemblements, parce que lesdites victimes n’ont pas à invoquer le fait que le dommage subi est spécial et anormal (C.E., avis, du 20 févr. 1998, Sté Études et Construction de sièges pour l’automobile). Force tout de même est de préciser que cette disposition n’est pas applicable aux actions préméditées (comme des opérations de commando : par exemple, destruction par explosifs d’un pylône électrique, T.C. du 4 nov. 1985, Préfet, C.O.R.E.P. de l’Aude c/ T.G.I. de Carcassonne). Seules la faute de la victime et la force majeure constituent des causes exonératoires de responsabilité dans le cadre du régime de la responsabilité pour risque.
Par ailleurs, dans un contexte de protectorat ou plutôt de colonisation de la Tunisie, la décision du Conseil d’Etat du 30 novembre 1923 marque le point de départ de la jurisprudence reconnaissant la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. Une interprétation tendancieuse accordant à tort le droit au sieur Basilio Couitéas demeurant à Tunis d'en faire expulser pour constituer son grand domaine de 38000 hectares, 8000 propriétaires légitimes.
Pourtant, le gouvernement français lui avait à maintes reprises refusé l’intervention de la force militaire d'occupation, pour l’expulsion d’un si grand nombre de personnes. En effet, une telle expulsion aurait, selon le gouvernement, entraîné des troubles graves de l’ordre public. C.E. arrêt Couitéas du 30 nov. 1923, Rec. Lebon p. 789, Rapporteur M. Riboulet, Commissaire du gouvernement M. Rivet, R.D.P. 1924.75 et 208, concl. Rivet, note Jèze ; S. 1923.3.57, note Hauriou, concl. Rivet).
Dans le même esprit de rupture d’égalité devant les charges publiques, mais cette fois-ci dans le contexte franco-français, on relèvera, dans certains cas, le juge considère ainsi que la puissance publique peut légalement faire supporter, au nom de l'intérêt général, des charges particulières à certains membres de la collectivité, mais que le principe d'égalité devant les charges publiques tiré de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, justifie qu'une compensation leur soit accordée. Néanmoins, à condition que le préjudice soit anormal et spécial, c’est-à-dire qu’il atteigne un certain degré d'importance et ne concerne que certains membres de la collectivité.
De même si l’État a décidé, pour telle ou telle raison, de ne pas recourir à la force publique pour disperser les attroupements, alors que le trouble à l’ordre public est caractérisé, les victimes des conséquences dommageables de ces attroupements pourront dans l’espèce, si le préjudice subi s’avère d’une particulière gravité, fonder leur action sur la responsabilité de l’administration pour rupture d’égalité devant les charges publiques. Cour Administrative d’Appel de Nantes, 11 janv. 2013, n°11NT0 1106 ; et 15 déc. 2015, n°14NT1609, cité par R. Blanquet, Avocat au barreau de Rennes, La responsabilité de l’État du fait des dommages causés par les attroupements, disponible sur le web.
Nous avons vu, ci-dessus, le cas de M. Couitéas qui voulait, via l’aide militaire, faire expulser 8000 personnes ce qui aurait pu entraîner des troubles graves. Il se pourvut alors en cassation, demandant au Conseil d’État l’indemnisation du préjudice qui résultait de cette absence de concours. La décision Couitéas marque le point de départ de la jurisprudence reconnaissant la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. Dans certains cas, le juge considère ainsi que la puissance publique peut légalement faire supporter, au nom de l'intérêt général, des charges particulières à certains membres de la collectivité, mais que le principe d'égalité devant les charges publiques tiré de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, justifie qu'une compensation leur soit accordée, à condition que le préjudice soit anormal c'est-à-dire qu'il atteigne un certain degré d'importance, et spécial, c’est-à-dire qu’il ne concerne que certains membres de la collectivité.
Cette position du Conseil d’État, n’est pas étrangère aux engagements internationaux de la France (CE, Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu, n°279522) ou aux principes généraux du droit de l’Union Européenne (CE, 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection de la route, Recueil Lebon, n° 354365, du 23 juill. 2014) et des conventions internationales (CE, Assemblée, 30 mars 1966, Compagnie générale d'énergie radioélectrique, n° 50515, Recueil Lebon, Rapporteur M. de Vulpillières, Commissaire du gouvernement M. M. Bernard).
Il en est de même dans le cas de dommages permanents, c'est-à-dire dépourvus de caractère accidentel, de travaux publics, qu'ils résultent de l'exécution de travaux publics ou de l'existence d'ouvrages publics (CE, 22 juin 1983, Société des autoroutes du Sud de la France (S.A.S.F.), n° 35827 et suivants, Recueil Lebon, Commissaire du gouvernement M. Pauti, Rapporteur M. Durand-Viel) et des dommages directement causés par des perquisitions administratives ordonnées sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 (CE, 6 juillet 2016, M. N et autres, n° 398234, Rec. Lebon, Rapporteur Mme Cécile Barrois de Sarigny). La jurisprudence Couitéas a par ailleurs reçu une confirmation législative par la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, qui dispose, à l’article 16 : « L’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’État de prêter son concours ouvre droit à réparation ».
La responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, ou la responsabilité de l’État législateur, fut reconnue par le Conseil d’État à des sociétés qui, du fait de législations nouvelles impactant leurs activités, « subissaient des charges nouvelles et imprévues », dès le début du 20ème siècle : C.E. 27 juill. 1906, Compagnie P.L.M., Rec. 702, concl. Teissier ; C.E. 2 mars 1932, Société Mines de Joudreville, Rec. 246 ; C.E. Ass. 14 janv. 1938, Société anonyme des produits laitiers «La Fleurette», Colombes, c/ ministre de l’Agriculture du 14 janv. 1938, n° 51744, Rec., 25, Rapporteur M. Toutée, Commissaire du gouvernement M. Roujou, note P. Laroque, note Rolland, R.D.P. note Jèze. Le C.E. a étendu la même jurisprudence d’indemnisation aux décrets et décrets-lois coloniaux impactant les activités des colons (C.E. Ass. 14 janv. 1938, Compagnie générale de grande pêche, Rec. 23 ; S. 1938.3.25, note Laroque ; D. 1938.3.41, note Rolland ; C.E. Ass. 22 oct. 1943, Société des Établissements Lacaussade, Rec. 231), et aux conventions internationales ratifiées par l’État et enchâssées dans l’ordre juridique interne (C.E. Ass. 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique, les G.A.J.A., op.cit. p. 325-331).
Toutefois, cette indemnisation du fait de la loi ne saurait être, selon la jurisprudence du C.E. engagée en toute hypothèse, au risque de paralyser toute action administrative, dont le coût deviendrait exorbitant. C’est l’approche retenue par le législateur, qui a exclu l’indemnisation des servitudes d’urbanisme, sauf hypothèses très limitées, le juge ayant toutefois eu une appréciation assez libérale de ces dispositions (CE, Section, 3 juillet 1998, Bitouzet, n°158592).
Par ailleurs, on peut également évoquer le cas de la responsabilité administrative pour risque, une responsabilité quasi-délictuelle, fondée, en effet, à la fois sur les dispositions du code civil et sur la notion du risque, du fait des personnes dont l’administration doit répondre (infractions perpétrées par des mineurs ou malades mentaux placés dans des établissements publics), des animaux ou des choses dont elle a la garde (accidents occasionnés aux tiers par des animaux appartenant aux entreprises ou exploitations publiques agricoles, ou des conséquences dommageables subis par des tiers victimes du fait de chantiers ou de travaux publics).
Selon l’art. 1242 du code civil français : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».
Cette forme de responsabilité quasi-délictuelle est rapportée par le Code des obligations et contrats (C.O.C.), dans plusieurs arts. : Responsabilité induite par son propre fait, ou du fait des personnes dont on doit répondre (art. 85), responsabilité résultant du dommage causé par l’animal (art. 86), ou des choses (art. 88), que l’on a sous sa garde (art. 86). T. des conflits 3 juill. 2000, Garde des sceaux, ministre de la Justice c/ Primau ; C.E. Sec. 11 févr. 2005, Groupement d’intérêt économique (GIE) Axa Courtage ; C.E. 1er févr. 2006, Garde des sceaux ministre de la Justice c/ Mutuelle Assurance des instituteurs de France ; C.E. 13 nov. 2009, Garde des sceaux ministre de la Justice c/ Association tutélaire des inadaptés ; v. La responsabilité de l’Administration : les fondements de la responsabilité administrative, 16 mai 2023, accessible sur le Web ; Jilali Chabih, Docteur et HDR, Paris 2 et Paris 5, et Docteur d’État, UCAM-Maroc, en droit, finance, fiscalité, administration et méthodes de recherche.
Administrative liability without fault or on the basis of risks in comparative law and in Moroccan law
In addition to administrative liability for fault, the judiciary, whether comparative or Moroccan, also decides on administrative liability without fault or on the basis of risks because this judicial global approach in administrative matter is important in protecting the rights and freedoms of individuals and persons and reparing the damages resulting from the administration’s activity in the event of risks or the breakdown of equality in public charges.
Ainsi, au sens de cette définition, entends-je tous les engagements qui se forment avec ou sans convention, et qui rentrent dans le cadre de la responsabilité civile, pénale, administrative, sociale, commerciale, ou encore interne ou internationale, avec toutes leurs composantes : responsabilité contractuelle ou quasi-contractuelle, responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle (des sources d’obligations, le contrat, la responsabilité extracontractuelle, art. 1100 à 1303 A, code civil fr. version en vigueur au 16 juin 2024 ; des obligations en général, des causes des obligations, des obligations qui dérivent des conventions et autres déclarations de volonté, art. 1 à 477, Code des obligations et contrats, des différents contrats déterminés et des quasi-contrats qui s’y rattachent, art. 478 à 1250, C.O.C.[[2]]url:#_ftn2 ).
S’agissant de la seule responsabilité administrative, c’est l’obligation de l’administration (concentrée, centralisée, déconcentrée, décentralisée, régionalisée, ou fonctionnelle), de son propre chef, ou sur injonction du juge administratif, de réparer les préjudices et dommages, matériels, corporels, moraux ou esthétiques causés à autrui (personnes physiques ou morales selon la nature du danger), par le fait ou la faute qui lui sont, directement ou indirectement, imputables. En effet, L’engagement de la responsabilité des personnes publiques repose sur des fondements doctrinaux et/ou jurisprudentiels bien déterminés, comme la faute, le risque, la rupture de l’égalité devant les charges publiques, la responsabilité de l’État, au sens large, du fait des personnes dont elle a la garde ou des risques dont il est le garant. V. également A. Van Lang, Le droit de la responsabilité administrative, Nantes Université, accessible sur le Web.
Dès lors que la responsabilité est engagée reste à préciser sa nature, sa proportion et le taux d’indemnisation, en ce sens que cette responsabilité peut être totalement administrative ou éventuellement judiciaire, occasionnée par une EPIC durant ses activités de vente et de production de biens et de services, incombant entièrement à l’administration ou répartie entre les différents responsables en fonction de leur degré d’implication : administration, entreprise, victime. Toutefois, certaines circonstances, dont la charge de la preuve incombe à l’administration, à l’exemple de la force majeure, de cas fortuit, du fait d’un tiers ou de celui de la victime elle-même, peuvent, selon le degré d’implication de l’administration, l’exonérer totalement ou partiellement. Aussi, la responsabilité administrative pour risque, ou la probabilité d’un évènement dommageable, ne dépendant pas forcément de la volonté des parties, de se produire et ses conséquences, que nous allons traiter dans le présent article se répartira en trois volets : La responsabilité pour risque reconnue pour les collaborateurs permanents ou occasionnels des services publics, la responsabilité pour risque reconnue en raison de l’existence d’un "risque spécial de dommage" et la responsabilité pour risque reconnue en raison d’un "risque social"[[3]]url:#_ftn3 .
1.La responsabilité pour risque reconnue pour les collaborateurs permanents ou occasionnels des services publics
C’est par l’arrêt Cames du 21 juin 1895 que le Conseil d’État a admis pour la première fois que la responsabilité de l’État pouvait être engagée en l’absence de faute de ce dernier (C.E. 21 juin 1895, CAMES, Rec. 509, concl. Romieu, Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administratives (G.A.J.A.), Dalloz, 12e édition, 1999, p. 38 - 42). Dans l’espèce, un ouvrier d’un arsenal militaire s’était blessé, sans qu’une négligence ou une imprudence de sa part puisse lui être reprochée. Cette blessure l'ayant mis dans l’impossibilité de se servir de l’une de ses mains et de pourvoir à sa subsistance, il intenta une action contre l’État.
Le commissaire du gouvernement Romieu avait estimé dans ses conclusions qu’il appartenait "au juge administratif d’examiner directement, d’après sa conscience, et conformément aux principes de l’équité, quels sont les droits et les obligations réciproques de l’État et de ses ouvriers dans l’exécution des services publics, et notamment si l’État doit garantir ses ouvriers contre le risque résultant des travaux qu’il leur fait exécuter".
Précédant ainsi la première loi majeure couvrant le risque professionnel (loi du 9 avr. 1898), le Conseil d’État a donc accepté l’indemnisation de ces collaborateurs permanents sur le fondement du risque encouru à raison de l’exercice de leurs fonctions.
Force est de constater que, même après l’entrée en vigueur de cette législation relative aux pensions et aux accidents du travail, le Conseil d'État a continué à admettre ce type de responsabilité pour couvrir le préjudice esthétique ou moral (non couvert par le régime des pensions) et compléter le montant de l’indemnisation.
Le Conseil d’État est allé plus loin en étendant le bénéfice de la théorie du risque à la catégorie des "collaborateurs occasionnels des services publics" dans l’arrêt d’assemblée du 22 nov. 1946, Commune de Saint-Priest-la-Plaine (C.E. Ass. 22 nov.1946, Commune de Saint-Priest-La-Plaine, Rec. 279, D. 1947, 375, note Blaevoet ; S. 1947.3. 105, note F.P.B., Les G.A.J.A. op.cit. p. 388 - 396).
En l’espèce, deux bénévoles avaient accepté de tirer un feu d’artifice à l’occasion d’une fête locale - qui a été considérée comme un service public car il s’agissait d’une manifestation habituelle - et avaient été blessés par l’explosion prématurée d’un engin pyrotechnique sans qu’aucune imprudence puisse leur être reprochée.
Les collaborateurs occasionnels des services publics sont les personnes qui apportent leur concours aux services publics, soit de manière spontanée, soit en y étant requises.
Les hypothèses visées sont donc multiples et variées puisqu’elles peuvent concerner aussi bien une personne qui apporte son concours aux agents de police pour arrêter un délinquant qu’une personne qui porte secours à un noyé.
Le juge procède cependant à un examen des conditions qui ont mené l’individu à "participer" au service public, notamment au regard de "l’urgente nécessité" de cette intervention. Il vérifie également les situations où l’individu a dépassé le cadre normal de ce qui pouvait être attendu de lui "en contrepartie des avantages que lui apporte le service public". On citera ainsi l’exemple d’un candidat au baccalauréat qui a ramassé des balles lancées par d’autres candidats sur la demande de l’examinateur, qui a été blessé à cette occasion, et qui n’a pas pu être indemnisé sur ce fondement.
Le Conseil d’État fait pourtant preuve d’une attitude compréhensive en admettant l’indemnisation des collaborateurs des services publics qui ont apporté leurs concours à des membres de leur famille ou à des intimes (C.E. Sect. 1er juill. 1977, Commune de Coggia, Rec. 301 ; A.J. 1978. 286, concl. Morisot ; R.D.P. 1978. 1141, note M. Waline, Les G.A.J.A. op.cit. p. 394).
S’agissant du Maroc, la gestion volontaire des affaires d’autrui, au sens large, c’est-à-dire la situation où une personne (un gérant), agit pour le bien d’une autre personne, (le propriétaire ou le maître de l’affaire), qui n’est pas en état, pour telle ou telle raison, d’y pourvoir lui-même, existait déjà dans l’histoire de l’État musulman. Elle existait d’abord dans la pratique quotidienne basée sur les principes de solidarité, de justice de cohésion sociale et de bienveillance, et se pratiquait ensuite en tant qu’institution juridiquement reconnue par les sources de droit musulman, le fiqh et usûl l’fiqh (Coran, Sunna, Ijmâ, ijtihâd, Qiyas…), et leurs applications dans le cadre des contrats, de la propriété et ses dépendances, de l’indivision, et d’autres règles encore qui régissaient les pratiques commerciales, civiles et foncières (héritage, biens habous, terrains morts mis en valeur par autrui, terrains nus, pâturage, domaines…).
Le Code des obligations et contrats, du 12 août 1913, tel qu’il a été modifié et complété, en 1993, 1995, 2002, 2007, 2011, 2016, 2019, prévoit dans son chapitre cinquième : des quasi-contrats analogues au mandat de la gestion d’affaires, et plus particulièrement l’art. 943, « Lorsqu’on gère volontairement ou par nécessité les affaires d’autrui, en son absence, ou à son insu, il se constitue un rapport de droit analogue au mandat, qui est régi par les dispositions » des arts, de 944 à 958, et nécessite de ce fait indemnisation du gérant de tous les frais (art. 949), comme s’il s’agissait d’un mandataire (art. 914).
Le Code civil français du 21 mars 1804, tel qu’il a été modifié et complété, à maintes reprises, et notamment le 1er oct. 2016, fixe dans ses arts. 1301 à 1301-5, le régime de la gestion d’affaire d’autrui. L’art. 1301 prévoit : « Celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire ». « Il est tenu, poursuit l’art. 1301-1, d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable » ; et l’art. 1301-2 d’ajouter : « Celui dont l’affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant ».
Les collaborateurs permanents ou occasionnels des services publics bénévoles, victimes d’un accident sont indemnisés sur la base de la législation marocaine en vigueur : la loi du 25 juin 1927 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, B.O. n° 766 du 28 juin 1927, modifiée par la loi n° 18-12 de 2015 relative à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui s’aligne sur les conventions internationales du travail ratifiées par le Maroc, ainsi que la loi du 31 mars 1961, relative à la réparation des accidents du travail, B.O. 1961, p. 510, étendant le bénéfice de la loi de 1927 aux collaborateurs occasionnels, M. Rousset, Droit administratif marocain, éd. La Porte, p. 802. V. également, dans le même ordre d’idées la loi du 2 oct. 1984 relative à l’indemnisation des victimes causées par les véhicules, B.O. n° 3753 du 3 oct. 1984.
La question des collaborateurs occasionnels du service public, au Maroc, c’est-à-dire les personnes qui offrent leur service spontanément à la collectivité, ce qui relève en effet de la gestion des affaires d’autrui, est la production en grande partie de la jurisprudence comparée, mais aussi de la législation marocaine, ancienne (Charia, pratique islamique) et actuelle, permettant ainsi d’étendre la gratitude et/ou l’indemnisation à ces bénévoles. En effet, les personnes publiques (État, C.T., EEP) sont directement responsables des dommages causées à ces collaborateurs occasionnels dans le cadre du service rendu pour l’intérêt desdits personnes, qui est en définitive l’intérêt collectif ; la souscription par l’État d’une assurance est en l’occurrence recommandée pour la couverture de tout risque éventuel causé aux victimes de ces missions de service public. La consultation des polices d’assurances sur les risques encourus dans l’exécution des S.P. du Bureau Central Marocain des Sociétés d’Assurances n’est pas inintéressante en la matière.
المكتب المركزي المغربي لشركات التأمين ضد حوادث السير
2. La responsabilité pour risque reconnue en raison de l’existence d’un "risque spécial de dommage"
La théorie du risque s’appuie sur l’idée selon laquelle l’activité de l’administration peut conduire les administrés à encourir un risque malgré eux. Ce risque, s’il se réalise, place les administrés dans une situation inconfortable dans la mesure où aucune faute ne peut être reprochée à l’administration.
Or, "celui qui, à l’occasion d’une activité qui lui est profitable, crée un risque de dommages pour autrui doit en répondre si le risque se réalise". Il est donc naturel, et équitable, que la victime puisse être indemnisée (C.E. Ass. 24 juin 1949. 87335, Rec. Lebon, arrêt Mme Daramy, Président M. Rouchon Mazerat, Rapporteur public, M. Barbet, Rapporteur M. Letourneur, disponible sur le web ; Jean Waline, Droit administratif, Paris, Dalloz, 2014, p. 489, in H. Qazbir, L’indemnisation des victimes d’actes terroristes : responsabilité publique ou garantie sociale ? Les annales de droit, 2018, Open Edition Journals ; Code de l’organisation judiciaire, l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, art. L2017-6, modifié par la loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023 art. 25, version en vigueur au 13 oct. 2025).
La jurisprudence comparée a ainsi reconnu la responsabilité des personnes publiques dans un certain nombre de cas (C.E. Sec. 17 avr. 1953, Pinguet, Rec. 177 ; S. 1954.3.69, note G. Robert, D. 1954.7, note G. Morange : cas d’un passant blessé par un malfaiteur à la poursuite duquel il s’était spontanément lancé, Commune de Grigny, Les G.A.J.A., op.cit. p. 395).
A) - La responsabilité du fait des choses dangereuses
En l’espèce, il s’agissait de l’explosion d’un dépôt de grenades et de bombes incendiaires en pleine ville, dépôt d’armes qui faisait également l’objet de manutentions fréquentes. Le juge administratif a considéré, dans l’arrêt Regnault-Desrosiers du 28 mars 1919, que "ces opérations effectuées dans des conditions d’organisation sommaires, sous l’empire des nécessités militaires - la Première guerre mondiale - comportaient des risques excédant les limites de ceux qui résultent normalement du voisinage, et que de tels risques étaient de nature à engager, indépendamment de toute faute, la responsabilité de l’État" (C.E. 28 mars 1919, Regnault-Desrosiers, Rec. 329, R.D.P ; 1919. 239, concl. Corneille, note Jèze ; D. 1920.3.1, note Appleton ; S. 191-1919.3.25, note Hauriou).
C’est donc sur le fondement du risque anormal de voisinage que le Conseil d’État a accueilli la demande. Il a également reconnu - dans un arrêt d’assemblée : Consorts Lecomte du 24 juin 1949, cas des passants blessés - que l’emploi d’armes à feu par la police pouvait engager la responsabilité sans faute de l’administration en raison de la dangerosité des armes en question, voir dans le même sens, à propos de l’usage d’armes par les forces de police, la Cour de Rabat, arrêt du 20 nov. 1951, Recueil des arrêts de la Cour d’appel de Rabat (R.A.C.A.R.), et arrêt du 15 mars 1960, et tribunal de Rabat, jugement du 10 mai 1961, cité par J. Prat, La responsabilité de la puissance publique au Maroc, p. 144, cité par M. Rousset, op.cit. p. 800, et la Cour suprême, arrêt agent judiciaire c/ M’hamed Ben Abdesslem Doukkali, R.A.C.A.M., 1966, p. 457, cité par M. Rousset, op.cit. p. 800.
Toutefois une telle responsabilité ne saurait être engagée qu’à la double condition que les dommages subis excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’existence du service public de la police, et que la victime n’a pas contribué, par son attitude, à la réalisation du dommage (C.E. Ass. 24 juin 1949, Consorts Lecomte, Rec. 307, S. 1949.3.61, concl. Barbet; J.C.P. 1949. II. 5049, concl. Barbet, note George; D. 1950.5, Chr. Berlia et Morange; R.D.P. 1949.583, note Waline, G.A.J.A., op.cit. p. 419-425). On peut également intégrer dans cette catégorie, l’arrêt du coup de canon de la kasbah des Oudaya à Rabat, tiré chaque jour à midi, dans les années trente, et qui par effet, brisait les vitres des immeubles voisins, v. Cour d’appel de Rabat, du 21 janv. 1928, R.A.C.A.R., p. 330, cité par M. Rousset, op.cit. p. 798.
Les « choses dangereuses » peuvent être, selon le Conseil d’Etat, des armes, telles que les armes à feu, les pistolets, mais pas les grenades lacrymogènes, ou les distributions d’énergie et d’eau, tels que les réseaux d’adduction d’eau ou les routes exposées à des chutes de pierres (Les G.A.J.A., op.cit. p. 421). En revanche, la Cour suprême, arrêt Ville de Tanger c/ Martin, du 16 juil. 1959, condamna la Ville à indemniser le sieur Martin du préjudice subi à cause des travaux municipaux obstruant le lit de la rivière qui déborda, aux moments de grandes pluies et inonda le fonds de commerce du sieur Martin (M. Rousset, op.cit. p. 795). De la même manière la Cour d’appel de Rabat, arrêt Héritiers Marc, du 28 oct. 1941, condamna l’Etat à réparer les dommages dus aux inondations causées aux victimes par l’exécution de travaux publics, ou encore la décision de la Cour suprême, Consorts Mazover, R., p. 203, du 9 janv. 1960, condamna l’Etat à réparer le dommage causé par des lignes électriques au-dessus d’une propriété (M. Rousset, op.cit. p. 794).
B) - La responsabilité pour risque afférente aux activités dangereuses
C’était essentiellement les activités de l’administration en matière de rééducation et de réinsertion des délinquants qui étaient visées à l’origine comme il résultait de l’arrêt de section Thouzellier du 3 février 1956 (C.E. du 3 févr. 1956, Thouzellier, Conseil d’Etat statuant au contentieux, publié au Rec. Lebon, p. 49, Section MM. Fournier, rapp. Landron, c du g. disponible sur le net). Il s’agissait, en l’espèce, des permissions de sortie qui pouvaient conduire ces délinquants à faire courir de grands risques aux administrés qui, s’ils se réalisaient, leur ouvraient droit à indemnisation. La même solution a été appliquée aux permissions de sortie accordées à titre thérapeutique aux patients des hôpitaux psychiatriques (C.E. Sect. 31 déc. 1976, 97517, Rec. Lebon ; C.E. sect. 13 juill. 1967, 65735, Rec. Lebon, C.E. 5/3 SSR, 13 mai 1987, 49199, Rec. Lebon, in O. Henri, Responsabilité médicale et psychiatrie, HAL archives ouvertes, 2015, p. 153-156, accessible sur le web).
Aujourd’hui davantage encore, la même jurisprudence du Conseil d’Etat, admet dans l’arrêt Bianchi du 9 avril 1993, la responsabilité pour risque de l’administration hospitalière dès lors que ses activités médicales comportent un "aléa thérapeutique" (v. dans le même ordre d’idées l’indemnisation des victimes d’accidents thérapeutiques, Service des Affaires Européennes, nov. 2000, disponible sur le web).
Elle a également admis, arrêt d’assemblée du 26 mai 1995, Ets Nguyen, Jouan, Ets Pavan, la responsabilité des centres de transfusion sanguine en raison des "conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis". Ces établissements avaient le monopole des opérations de collecte de sang et avaient pour mission d’assurer le contrôle médical des prélèvements, du traitement, du conditionnement et de la fourniture aux utilisateurs (CE, Ass., 26 mai 1995, Consorts Nguyen, Jouan, Pavan, n° 151798).
En l’espèce, le Conseil d’Etat s’est aligné sur la jurisprudence de la Cour de cassation, qui, quelques semaines auparavant, était arrivée au même résultat mais en se fondant de son côté sur l’obligation de sécurité qui pèse sur les centres (Civ. 1ère, 12 avr. 1995, Consorts Martial, Bull. civ. II, n° 180, p. 130 ; v. dans le même ordre d’idées Chr. Guettier, Le traitement des catastrophes par le droit de la responsabilité administrative p. 71-90, Risques, études et observations, 2011, Les sciences juridiques à l’épreuve des catastrophes et des accidents collectifs Retour sur 15 ans d’expérience, d’expertise et de réflexions, disponible sur le web).
Dans le domaine médical, comme dans d’autres domaines où la dangerosité était avérée, à l’exemple du terrorisme ou de l’amiante, le législateur s’est résolument préoccupé du sort des victimes, même parfois à l’encontre de la jurisprudence du Conseil d’État. C’était le cas de "la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire", dont l’indemnisation, a été effectuée par l’O.N.I.A.M., Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, qui, en l’occurrence, vaut transaction. Aussi, la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ouvre-t-elle le plein droit à la réparation des préjudices des patients victimes d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes et d’infections nosocomiales et à la solidarité nationale due aux victimes, dès lors que la responsabilité de l’agent de l’administration ou celle de la partie contractante : médecin, professionnel, établissement ou producteur n’est pas engagée (cf. L’affaire du Stalinon, à la vitamine F, en France, en juillet 1954 et l’affaire du Distilbène, aux E.U.A., novembre 1971, l’affaire Vioxx, septembre 2004, de l’épidémiologie du risque concernant des effets indésirables des médicaments, les problèmes de toxicité et de surdosage, cf. Le Monde, France Observateur, Paris - Match, des notes et commentaires des périodiques juridiques comme : Gazette du Palais, Recueil Dalloz, Jurisclasseur, Revue des Sciences criminelles, ainsi que la Presse médicale, Bulletin de l’Académie de Médecine… et concernant la crise du Distilbène aux Etats-Unis cf. New York Times et Washington Post).
On peut également, dans le même ordre d’idées, et dans le cadre de traitements médicaux risqués, citer l’arrêt sieur Pasquis, de la Cour d’appel de Rabat, du 4 janv. 1940, R.A.C.A.R., p. 423, et la décision Zouined Hamou, de la Cour suprême, n° 346, du 26 nov. 1979, J.C.S. 1981, n° 28, p. 3, condamnant respectivement l’Etat aux dommages-intérêts au bénéfice des victimes (M. Rousset, op.cit. p. 801-802).
C)- La responsabilité sans faute liée à l’existence d’un risque spécial de dommage pouvait être engagée en raison de situation dangereuse
L’exemple typique est celui de l’enseignante enceinte contrainte d’assurer son service à l’école alors que sévit dans l’établissement une épidémie de rubéole. Elle s’est trouvée contaminée et son enfant a subi des malformations (C.E., Ass., du 6 nov. 1968. 72636, Dame Saulce, Rec. Lebon, rapporteur public M. Bertrand, rapp. Mme Bauchet, accessible sur le web).
A noter également dans le même ordre d’idées : Les sagas de 30 septembre 2004 (6/8), comment la pilule Vioxx a gangréné l’industrie ; les « Évènements indésirables dans le système de santé », Revue Française des Affaires Sociales, de 2007/3-4 pages de 123 à 151 ; ou encore la conjonction dans les années 80 entre crise agricole et crise médicale (ou crise de santé publique), concernant les additifs alimentaires, les insecticides et les pesticides aux États-Unis d’Amérique et en Europe…
3. La responsabilité pour risque reconnue en raison d’un "risque social"
La responsabilité administrative peut également être mise en jeu en raison d’un risque social lié à des attroupements ou des rassemblements. Ces attroupements ou rassemblements, de quelque nature qu’ils soient - manifestations politiques, mouvements sociaux et grèves sur les espaces publics, émeutes, fêtes de village ou évènements sportifs - peuvent en effet entraîner des dommages aux biens ou même aux personnes. Traditionnellement, le juge administratif accepte l’indemnisation des victimes en cas de dommages causés aux particuliers du fait des crimes et délits commis sans que les forces de police aient pu les empêcher.
Cependant dans ce domaine, comme dans celui de la responsabilité reconnue en raison d’un risque spécial de dommage, le législateur est intervenu pour assurer l’indemnisation la plus équitable des victimes. Selon l’ancien article, français, L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) : "L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis (…) par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés (…). Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée". Dans le même esprit le nouvel article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure, dispose : « L’État est civilement responsable des dégâts résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».
Il s’agit, en l’occurrence, d’un régime de responsabilité sans faute des pouvoirs publics (État et / ou collectivités territoires) favorable aux victimes du fait de dommages subis lors d’attroupements ou rassemblements, parce que lesdites victimes n’ont pas à invoquer le fait que le dommage subi est spécial et anormal (C.E., avis, du 20 févr. 1998, Sté Études et Construction de sièges pour l’automobile). Force tout de même est de préciser que cette disposition n’est pas applicable aux actions préméditées (comme des opérations de commando : par exemple, destruction par explosifs d’un pylône électrique, T.C. du 4 nov. 1985, Préfet, C.O.R.E.P. de l’Aude c/ T.G.I. de Carcassonne). Seules la faute de la victime et la force majeure constituent des causes exonératoires de responsabilité dans le cadre du régime de la responsabilité pour risque.
Par ailleurs, dans un contexte de protectorat ou plutôt de colonisation de la Tunisie, la décision du Conseil d’Etat du 30 novembre 1923 marque le point de départ de la jurisprudence reconnaissant la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. Une interprétation tendancieuse accordant à tort le droit au sieur Basilio Couitéas demeurant à Tunis d'en faire expulser pour constituer son grand domaine de 38000 hectares, 8000 propriétaires légitimes.
Pourtant, le gouvernement français lui avait à maintes reprises refusé l’intervention de la force militaire d'occupation, pour l’expulsion d’un si grand nombre de personnes. En effet, une telle expulsion aurait, selon le gouvernement, entraîné des troubles graves de l’ordre public. C.E. arrêt Couitéas du 30 nov. 1923, Rec. Lebon p. 789, Rapporteur M. Riboulet, Commissaire du gouvernement M. Rivet, R.D.P. 1924.75 et 208, concl. Rivet, note Jèze ; S. 1923.3.57, note Hauriou, concl. Rivet).
Dans le même esprit de rupture d’égalité devant les charges publiques, mais cette fois-ci dans le contexte franco-français, on relèvera, dans certains cas, le juge considère ainsi que la puissance publique peut légalement faire supporter, au nom de l'intérêt général, des charges particulières à certains membres de la collectivité, mais que le principe d'égalité devant les charges publiques tiré de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, justifie qu'une compensation leur soit accordée. Néanmoins, à condition que le préjudice soit anormal et spécial, c’est-à-dire qu’il atteigne un certain degré d'importance et ne concerne que certains membres de la collectivité.
De même si l’État a décidé, pour telle ou telle raison, de ne pas recourir à la force publique pour disperser les attroupements, alors que le trouble à l’ordre public est caractérisé, les victimes des conséquences dommageables de ces attroupements pourront dans l’espèce, si le préjudice subi s’avère d’une particulière gravité, fonder leur action sur la responsabilité de l’administration pour rupture d’égalité devant les charges publiques. Cour Administrative d’Appel de Nantes, 11 janv. 2013, n°11NT0 1106 ; et 15 déc. 2015, n°14NT1609, cité par R. Blanquet, Avocat au barreau de Rennes, La responsabilité de l’État du fait des dommages causés par les attroupements, disponible sur le web.
Nous avons vu, ci-dessus, le cas de M. Couitéas qui voulait, via l’aide militaire, faire expulser 8000 personnes ce qui aurait pu entraîner des troubles graves. Il se pourvut alors en cassation, demandant au Conseil d’État l’indemnisation du préjudice qui résultait de cette absence de concours. La décision Couitéas marque le point de départ de la jurisprudence reconnaissant la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. Dans certains cas, le juge considère ainsi que la puissance publique peut légalement faire supporter, au nom de l'intérêt général, des charges particulières à certains membres de la collectivité, mais que le principe d'égalité devant les charges publiques tiré de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, justifie qu'une compensation leur soit accordée, à condition que le préjudice soit anormal c'est-à-dire qu'il atteigne un certain degré d'importance, et spécial, c’est-à-dire qu’il ne concerne que certains membres de la collectivité.
Cette position du Conseil d’État, n’est pas étrangère aux engagements internationaux de la France (CE, Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu, n°279522) ou aux principes généraux du droit de l’Union Européenne (CE, 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection de la route, Recueil Lebon, n° 354365, du 23 juill. 2014) et des conventions internationales (CE, Assemblée, 30 mars 1966, Compagnie générale d'énergie radioélectrique, n° 50515, Recueil Lebon, Rapporteur M. de Vulpillières, Commissaire du gouvernement M. M. Bernard).
Il en est de même dans le cas de dommages permanents, c'est-à-dire dépourvus de caractère accidentel, de travaux publics, qu'ils résultent de l'exécution de travaux publics ou de l'existence d'ouvrages publics (CE, 22 juin 1983, Société des autoroutes du Sud de la France (S.A.S.F.), n° 35827 et suivants, Recueil Lebon, Commissaire du gouvernement M. Pauti, Rapporteur M. Durand-Viel) et des dommages directement causés par des perquisitions administratives ordonnées sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 (CE, 6 juillet 2016, M. N et autres, n° 398234, Rec. Lebon, Rapporteur Mme Cécile Barrois de Sarigny). La jurisprudence Couitéas a par ailleurs reçu une confirmation législative par la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, qui dispose, à l’article 16 : « L’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’État de prêter son concours ouvre droit à réparation ».
La responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, ou la responsabilité de l’État législateur, fut reconnue par le Conseil d’État à des sociétés qui, du fait de législations nouvelles impactant leurs activités, « subissaient des charges nouvelles et imprévues », dès le début du 20ème siècle : C.E. 27 juill. 1906, Compagnie P.L.M., Rec. 702, concl. Teissier ; C.E. 2 mars 1932, Société Mines de Joudreville, Rec. 246 ; C.E. Ass. 14 janv. 1938, Société anonyme des produits laitiers «La Fleurette», Colombes, c/ ministre de l’Agriculture du 14 janv. 1938, n° 51744, Rec., 25, Rapporteur M. Toutée, Commissaire du gouvernement M. Roujou, note P. Laroque, note Rolland, R.D.P. note Jèze. Le C.E. a étendu la même jurisprudence d’indemnisation aux décrets et décrets-lois coloniaux impactant les activités des colons (C.E. Ass. 14 janv. 1938, Compagnie générale de grande pêche, Rec. 23 ; S. 1938.3.25, note Laroque ; D. 1938.3.41, note Rolland ; C.E. Ass. 22 oct. 1943, Société des Établissements Lacaussade, Rec. 231), et aux conventions internationales ratifiées par l’État et enchâssées dans l’ordre juridique interne (C.E. Ass. 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique, les G.A.J.A., op.cit. p. 325-331).
Toutefois, cette indemnisation du fait de la loi ne saurait être, selon la jurisprudence du C.E. engagée en toute hypothèse, au risque de paralyser toute action administrative, dont le coût deviendrait exorbitant. C’est l’approche retenue par le législateur, qui a exclu l’indemnisation des servitudes d’urbanisme, sauf hypothèses très limitées, le juge ayant toutefois eu une appréciation assez libérale de ces dispositions (CE, Section, 3 juillet 1998, Bitouzet, n°158592).
Par ailleurs, on peut également évoquer le cas de la responsabilité administrative pour risque, une responsabilité quasi-délictuelle, fondée, en effet, à la fois sur les dispositions du code civil et sur la notion du risque, du fait des personnes dont l’administration doit répondre (infractions perpétrées par des mineurs ou malades mentaux placés dans des établissements publics), des animaux ou des choses dont elle a la garde (accidents occasionnés aux tiers par des animaux appartenant aux entreprises ou exploitations publiques agricoles, ou des conséquences dommageables subis par des tiers victimes du fait de chantiers ou de travaux publics).
Selon l’art. 1242 du code civil français : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».
Cette forme de responsabilité quasi-délictuelle est rapportée par le Code des obligations et contrats (C.O.C.), dans plusieurs arts. : Responsabilité induite par son propre fait, ou du fait des personnes dont on doit répondre (art. 85), responsabilité résultant du dommage causé par l’animal (art. 86), ou des choses (art. 88), que l’on a sous sa garde (art. 86). T. des conflits 3 juill. 2000, Garde des sceaux, ministre de la Justice c/ Primau ; C.E. Sec. 11 févr. 2005, Groupement d’intérêt économique (GIE) Axa Courtage ; C.E. 1er févr. 2006, Garde des sceaux ministre de la Justice c/ Mutuelle Assurance des instituteurs de France ; C.E. 13 nov. 2009, Garde des sceaux ministre de la Justice c/ Association tutélaire des inadaptés ; v. La responsabilité de l’Administration : les fondements de la responsabilité administrative, 16 mai 2023, accessible sur le Web ; Jilali Chabih, Docteur et HDR, Paris 2 et Paris 5, et Docteur d’État, UCAM-Maroc, en droit, finance, fiscalité, administration et méthodes de recherche.
[[1]]url:#_ftnref1 - Que cet être vivant soit une personne, un animal ou une plante. « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer », art. 1246, du code civil français, version en vigueur au 16 juin 2024 ; toute atteinte « aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » doit être réparée, art. 1247 du même code ; ces dispositions ont « pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement », art. 1248, du même code.
[[2]]url:#_ftnref2 - Les obligations, selon l’art. 1100 du C.C.F., naissent d’actes juridiques, de faits juridiques ou de l’autorité seule de la loi. Les obligations, selon l’art. 1er du Code des obligations et contrats (C.O.C.), dérivent des conventions et autres déclarations de volonté, des quasi-contrats, des délits et des quasi-délits.
[[3]]url:#_ftnref3 - Le risque de manière générale est tout fait, plus ou moins prévisible, préjudiciable à autrui, aux biens ou à l’environnement, et qui ne dépend pas exclusivement de la volonté des parties impliquées dans ledit fait. On notera ainsi l’exemple des risques d’incendie, des risques locatifs ou climatiques, des risques de transport de matières dangereuses, des risques naturels (feux de forêts, cyclones, avalanches, inondations, grêles…), risques technologiques (industriels, nucléaires, biologiques…), comme la rupture d’un barrage, les émanations toxiques, la pollution du sol, de l’air, des eaux, … « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ».