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Les avocats ne peuvent pas être des béquilles procédurales

     

Patrick Lingibé

Membre du Conseil national des barreaux

ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France.



Le 9 décembre 2019, un accusé ayant comparu devant une cour d’assises et n’ayant pas obtenu le renvoi de son affaire, a demandé au cours de l’audience à ses deux avocats choisis, M. [C] et Mme [Z] (les avocats), de ne plus assurer sa défense. Pour s’opposer à la volonté manifestée par le client le président de la cour d’assises, faisant application de l’article 317 du Code de procédure pénale, a commis d’office les avocats choisis. Les deux avocats ont présenté des motifs d’excuse et d’empêchement et quitté la salle d’audience comme le demandait leur client. Après le rejet de ces motifs par le président de la cour d’assises, ils ont refusé de la rejoindre, se retranchant derrière la volonté réitérée de leur client. Les deux avocats ont fait l’objet de poursuites disciplinaires pour avoir sciemment omis de respecter les règles professionnelles propres à l’acceptation d’une commission d’office, prévues aux articles 6 du décret n° 205-790 du 12 juillet 2005 et 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, faits prévus et punis par les articles 183 et 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Un arrêt a été rendu le 22 juin 2022 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui a sanctionné les deux avocats.
Ils ont formé un pourvoi contre cet arrêt en invoquant cinq moyens au soutien de celui-ci, dont seul le quatrième moyen pris en ses quatrième et cinquième branches pour notre présent commentaire. Il convient de préciser que le bâtonnier et l’ordre des avocats d’Aix-en-Provence soutenaient les deux avocats dans leur pourvoi.

La Cour de cassation valide la peine d’avertissement

Par un arrêt rendu le 28 février 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et validé la peine d’avertissement infligée par la cour d’appel aux deux avocats.
Cette décision pose in fine la question du contrôle de la légitimité des motifs du refus d’intervention opposé par un avocat désigné ou commis d’office notamment suite à la position adoptée par son client.
La Cour fonde sa décision sur trois dispositions textuelles.
La première résulte de l’article 317 du Code de procédure pénale qui dispose : «  A l’audience, la présence d’un défenseur auprès de l’accusé est obligatoire. Si le défenseur choisi ou désigné conformément à l’article 274 ne se présente pas, le président en commet un d’office. ». Il convient également de mentionner par effet miroir l’article 274 du même code : « L’accusé est ensuite invité à choisir un avocat pour l’assister dans sa défense. Si l’accusé ne choisit pas son avocat, le président ou son délégué lui en désigne un d’office. Cette désignation est non avenue si, par la suite, l’accusé choisit un avocat. »
La deuxième vient de l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : « L’avocat régulièrement commis d’office par le bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le bâtonnier ou par le président. »
 La troisième résulte du deuxième alinéa de l’article 6 du code de déontologie de l’avocat institué par le décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 et correspondant à l’ancien alinéa deux de l’article 6 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat abrogé depuis le 3 juillet 2023 : « L’avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d’office, sauf motif légitime d’excuse ou d’empêchement admis par l’autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission. »
 La décision de désignation ou de commettre d’office un avocat en application de l’article 317 du Code de procédure pénale ou de commettre ce dernier sur le fondement des dispositions précitées est considérée comme une mesure d’administration judiciaire insusceptible en tant que telle d’être contestée par l’avocat désigné ou commis.
Pourtant la désignation d’un avocat par l’autorité ordinale ou présidentielle emporte une conséquence importante : ce dernier a l’obligation impérative d’exécuter la mission confiée, sauf s’il en a été relevé pour des motifs d’excuse ou d’empêchement. La première chambre de la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’avocat régulièrement commis d’office par le bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le bâtonnier ou par le président ; qu’il en résulte que le président de la cour d’assises qui a commis d’office un avocat est seul fondé à admettre ou à refuser les motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par cet avocat, peu important l’appréciation du représentant du bâtonnier ; » (Cour de Cassation, Chambre civile 1ère, du 9 février 1988, 86-17.786). La commission règles et usages du Conseil national des barreaux a, dans un avis n° 2004/027 du 3 mai 2004, rappelé que « L’avocat ne peut se soustraire à sa désignation d’office que si son refus a été approuvé par le bâtonnier ou le président. A fortiori, il n’appartient pas à l’avocat commis d’office d’apprécier le bien-fondé de sa désignation. ».

Pas d’atteinte au principe de proportionnalité ?

De son côté, le Juge du Palais-Royal a, à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir formé contre l’article 2 du décret n° 2011-810 du 6 juillet 2011 relatif à l’aide à l’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue et de la retenue douanière, précisé que le principe de désignation de l’avocat constituait une contrainte qui vise avant tout à assurer les droits de la défense et ne porte dès lors pas atteinte au principe de proportionnalité : « (…)  le principe de la désignation d’office d’un avocat n’a été institué que pour assurer le respect des droits de la défense des personnes placées en garde à vue, dont les ressources seraient insuffisantes pour désigner un avocat ou dont l’avocat choisi ne pourrait être contacté, et leur permettre de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ; que, par suite, l’atteinte ainsi portée aux droits et libertés dont les requérants se prévalent n’est, en tout état de cause, pas manifestement disproportionnée ; » (Considérant n° 6, Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 28 décembre 2012, 351873).
Cette désignation ou commission d’office de l’avocat dans le cadre d’une instance pénale pose néanmoins une problématique qui percute et télescope trois principes : principe des droits de la défense, celui lié à la bonne administration de la justice et celui de la nécessaire indépendance de l’avocat.
Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur ces trois principes à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de ce dispositif de désignation ou de commission d’office dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. En effet, à l’occasion de ce contentieux, il était fait valoir que le pouvoir discrétionnaire reconnu au président de la cour d’assises de juger des motifs d’excuse ou d’empêchement présentés par un avocat commis d’office méconnaissait les droits de la défense en ce qu’il portait atteinte au libre choix de la défense et à l’indépendance de l’avocat, à l’impartialité du président de la cour d’assises, chargé à la fois de conduire les débats, de désigner l’avocat et de connaître en même temps des motifs d’excuse ou d’empêchement, de révéler certains éléments couverts par le secret professionnel. À ces motifs de contestation initiaux, le Conseil national des barreaux soulevait un autre grief tenant à l’atteinte portée au droit à un procès équitable et à « l’égalité des armes » ainsi qu’à la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif compte tenu de l’impossibilité d’exercer un recours contre la décision du président de la cour d’assises.
Par une décision n° 2018-704 QPC du 4 mai 2018, M. Franck B. et autre [Obligation pour l’avocat commis d’office de faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le président de la cour d’assises], le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les dispositions contestées.
En premier lieu, il juge que « (…) le pouvoir conféré au président de la cour d’assises de commettre un avocat d’office, pour la défense d’un accusé qui en serait dépourvu, vise à garantir l’exercice des droits de la défense. » et qu’en confiant « au président de la cour d’assises la police de l’audience et la direction des débats. » et « (…) compétence pour se prononcer sur les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat qu’il a commis d’office, les dispositions contestées lui permettent d’apprécier si, compte tenu de l’état d’avancement des débats, de la connaissance du procès par l’avocat commis d’office et des motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués, il y a lieu, au nom des droits de la défense, de commettre d’office un autre avocat au risque de prolonger le procès. » « En lui permettant ainsi d’écarter des demandes qui lui paraîtraient infondées, ces dispositions mettent en œuvre l’objectif de bonne administration de la justice ainsi que les exigences qui s’attachent au respect des droits de la défense. » (Confer considérant n° 7).
 En deuxième lieu, il considère que « (…) l’avocat commis d’office est tenu d’assurer la défense de l’accusé tant qu’il n’a pas été relevé de sa mission par le président de la cour d’assises. » et que « Dans ce cadre, il exerce son ministère librement. »  et qu’en tout état de cause, « (…) les obligations de son serment lui interdisent de révéler au président de la cour d’assises, au titre d’un motif d’excuse ou d’empêchement, un élément susceptible de nuire à la défense de l’accusé. » et « (…) en vertu de l’article 274 du Code de procédure pénale, l’accusé peut à tout moment choisir un avocat, ce qui rend alors non avenue la désignation effectuée par le président de la cour d’assises. » (Considérant n° 8).
En troisième lieu, il indique que « (…) si le refus du président de la cour d’assises de faire droit aux motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat commis d’office n’est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l’accusé à l’occasion d’un pourvoi devant la Cour de cassation, et par l’avocat à l’occasion de l’éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d’assises. » (Considérant n° 9).
 En quatrième lieu, il juge que « (…) le pouvoir conféré au président de la cour d’assises d’apprécier, compte tenu du rôle qui est le sien dans la conduite du procès, les motifs d’excuse ou d’empêchement de l’avocat qu’il a commis d’office ne met pas en cause son impartialité. » (Considérant n° 10).

Pas d’atteinte à l’indépendance de l’avocat ? 

Pour rappel, la première chambre de la Cour de cassation avait jugé antérieurement que ce dispositif de désignation imposée ne portait pas atteinte à l’indépendance de l’avocat : « Attendu, d’abord, que les obligations résultant pour les avocats de la mise en œuvre de la loi du 4 janvier 1993 tendant à renforcer les droits de la défense pendant la période de garde à vue ne sauraient être considérées ni comme un travail forcé et obligatoire, au sens de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ni à une réquisition ; » (Cour de Cassation, Chambre civile 1ère, du 24 juin 1997, 95-13.100).
L’autorité ayant procédé à la désignation ou à la commission d’office de l’avocat reste donc seul maître de l’appréciation souveraine des motifs sans que celle-ci puisse être remise en cause. Ainsi, le bâtonnier qui est l’autorité traditionnelle qui désigne ou commet les avocats peut avoir une appréciation divergente de celle du président de la cour d’assises sans pour autant que celle-ci puisse être remise en question (cas d’espèce  dans l’arrêt précité rendu le 24 juin 1997 par la Cour de cassation).
Par ailleurs, il faut savoir que le refus de l’avocat d’exécuter sa désignation ou sa commission d’office l’expose à des mesures de poursuites disciplinaires comme l’a rappelé la chambre criminelle de la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 24 juin 2015, 14-84.221 : « l’absence de l’accusé et de son avocat pendant tout ou partie des débats, n’entraîne la nullité de la procédure qu’autant qu’elle est le fait de la cour, du ministère public ou du président, (…) une telle absence ne pouvant faire obstacle à la poursuite des débats afin d’en assurer la continuité et au jugement de l’accusé dans un délai raisonnable ; »
 De son côté, la première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé : «  (…) la loi du 4 janvier 1993 a explicitement étendu l’application des articles 9 de la loi du 31 décembre 1971 et 159 du décret du 27 novembre 1991 en prévoyant dans l’article 63-4 du Code de procédure pénale la possibilité pour les personnes gardées à vue de bénéficier d’une commission d’office; qu’enfin, il résulte que les avocats sont tenus de déférer aux désignations ou commissions d’office, sauf motif légitime d’excuse ou d’empêchement admis par l’autorité qui a procédé à la désignation ou la commission; qu’après avoir énoncé à juste titre que la « clause de conscience » reconnue à l’avocat ne peut lui permettre de se faire juge de la loi et de s’opposer à son application, la cour d’appel a relevé que les motifs invoqués par M. X… pour se soustraire à la commission d’office n’avaient pas été approuvés par le bâtonnier et que cet avocat avait, néanmoins et en toute connaissance de cause, persévéré dans son refus de se soumettre à cette commission; qu’elle a ainsi caractérisé le manquement de l’intéressé à ses obligations professionnelles et a légalement justifié sa décision; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; » (Cour de Cassation, 1ère civile, 8 juillet 1997, 95-10.667).
 Il appartient donc à la juridiction disciplinaire en cas de saisine suite au refus d’exécution par l’avocat de la décision le désignant ou le commettant d’office et non validé par l’autorité concernée, d’apprécier en procédant à l’examen des motifs d’excuse ou d’empêchement exposés par ce dernier pour soutenir son refus comme l’a précisé la première chambre civile de la Cour de cassation dans une décision du 20 mai 2020 publiée au Bulletin (Cour de cassation, 1ère civile, 20 mai 2020, n° 18-25.136 19-10.868) :
« 16. Toutefois, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité posée à l’occasion de la présente instance, le Conseil constitutionnel, dont les décisions s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles, a retenu que, si le refus du président de la cour d’assises de faire droit aux motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat commis d’office n’est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l’accusé à l’occasion d’un pourvoi devant la Cour de cassation, et par l’avocat à l’occasion de l’éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d’assises (décision n° 2018-704 QPC du 4 mai 2018, § 9).
17.Il s’ensuit qu’il incombe au juge, saisi de poursuites disciplinaires contre l’avocat qui n’a pas déféré à une commission d’office, de se prononcer sur la régularité de la décision du président de la cour d’assises rejetant les motifs d’excuse ou d’empêchement qu’il avait présentés pour refuser son ministère et, par suite, de porter une appréciation sur ces motifs.
18.Pour prononcer la sanction disciplinaire de l’avertissement contre M. K…, après avoir relevé que celui-ci avait invoqué, notamment, l’animosité de l’avocat général occupant le siège du ministère public, un calendrier de procédure établi sans consultation préalable des avocats de la défense et la volonté de la présidente de la cour d’assises d’éviter la présence des deux avocats choisis, l’arrêt retient que ces arguments ont déjà été rejetés par l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 24 juin 2015, qui a validé la procédure à l’égard de l’accusé, de sorte qu’il y a lieu de confirmer la décision de la présidente de la cour d’assises de ne pas retenir les motifs d’excuse présentés par M. K….
19.En statuant ainsi, alors que, pour apprécier le caractère fautif du refus de l’avocat de déférer à la commission d’office, il lui incombait de procéder elle-même à l’examen des motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par ce dernier, la cour d’appel a méconnu son office et violé les textes susvisés. »
 Dans l’affaire commentée présentement, les deux avocats avaient dans leur pourvoi soulevé notamment un argument qui ne manquait pas de pertinence. Ils exposaient en effet que l’accusé a annoncé quitter la salle d’audience et demandé à ses avocats choisis de quitter la barre et de ne plus assurer sa défense. Il s’ensuivait que la commission d’office manquait à son objectif de garantir une assistance effective de l’avocat pour se résumer à la contrainte d’une présence passive et taisante de l’avocat contre la volonté de l’accusé.

L‘avocat ne peut pas défendre celui qui refuse d’être défendu

Il convient de rappeler sur ce point que l’avocat exerce une mission d’assistance de l’accusé conformément aux dispositions de l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. En l’espèce, les deux avocats étaient des avocats choisis dont le mandat d’assistance qui leur avait été confié avait été révoqué par le client. Ignorer la volonté de l’accusé qui est la personne centrale dans un procès d’assises et imposer à tout prix la présence d’un avocat révoqué par ce même accusé pose un problème de fond de liberté des droits de la défense. Les avocats ne peuvent être des béquilles procédurales sur le plan pénal alors que la personne qu’ils doivent défendre refuse de manière catégorique d’être défendue et donc le débat judiciaire. Si nous pouvons comprendre la volonté d’un président de cour d’assises d’assurer la bonne administration de la justice, nous pensons que l’on ne peut faire fi du choix de l’accusé de ne pas souhaiter être défendu. L’avocat ne peut pas participer à l’activité de défense d’une personne qui refuse toute défense. De plus, dans les circonstances de l’espèce la sanction infligée aux deux avocats nous paraît injuste pour avoir simplement respecté le choix de leur client, ce d’autant que leur départ de la salle d’audience n’était pas de nature à poser problème sur la régularité de la poursuite du procès d’assises dans la mesure où cet état de fait résultait du choix délibéré de l’accusé. Qu’ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi jugé en 2015 dans une affaire similaire : « Attendu que, le 14 mai 2014, les deux avocats désignés par M. X… ont décidé de quitter l’audience ainsi que la défense de leur client, lequel a manifesté également son intention de se retirer ; que l’un des deux avocats, commis d’office, a refusé sa mission en invoquant des motifs d’excuse non retenus par le président ; que nonobstant ce refus, il a quitté le prétoire ; qu’à partir du 15 mai 2014, les débats se sont déroulés en l’absence de l’accusé, qui n’a pas obtempéré aux sommations de comparaître qui lui ont été régulièrement faites, et de son avocat, commis d’office ; »  et « Que (…) l’absence de l’accusé et de son avocat pendant tout ou partie des débats, n’entraîne la nullité de la procédure qu’autant qu’elle est le fait de la cour, du ministère public ou du président, lequel s’est conformé aux dispositions des articles 317, 319 et 320 du Code de procédure pénale, une telle absence ne pouvant faire obstacle à la poursuite des débats afin d’en assurer la continuité et au jugement de l’accusé dans un délai raisonnable ; » (Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 juin 2015, 14-84.221, publié au Bulletin). Que cette position a été réaffirmée en 2017 : « Attendu qu’il résulte du procès-verbal des débats qu’à la suite de la décision des avocats choisis par M. [I] de quitter le procès, le président a commis d’office un nouvel avocat ; que celui-ci a refusé sa mission et a quitté le prétoire, bien que ses motifs d’excuse n’aient pas été acceptés ; Attendu que, d’une part, le demandeur ne saurait faire grief à la cour d’assises d’avoir poursuivi les débats en l’absence de tout défenseur ; qu’en effet l’absence d’un avocat de l’accusé pendant tout ou partie des débats ne constitue un motif de nullité qu’autant qu’elle est le fait de la cour, du président ou du ministère public ; que tel n’est pas le cas en l’espèce ; » (Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 mars 2017, 15-86.300, publié au bulletin)

Il convient de rappeler que le procès en matière pénale est une confrontation d’arguments dans une audience où les échanges peuvent rapidement devenir très électriques avec de très fortes tensions. Il s’en suit donc que confier au président d’une audience très électrisée le pouvoir de désignation d’un avocat et d’apprécier également le refus de ce dernier d’exécuter cette audience n’est pas de nature à assurer une sérénité objective et effective des débats ; cela contribue selon nous au contraire plutôt à radicaliser les positions et les tensions qui en résultent. Il est également incompréhensible qu’aucun recours particulier ne soit organisé contre une décision qui entraîne des conséquences très importantes notamment sur le plan humain, comme le soulevait le Conseil national des barreaux à l’occasion de la question prioritaire de constitutionnalité posée en 2018.

La Cour de cassation a fait en l’espèce une application stricte et littérale du droit positif. Pour régler la difficulté posée par le dispositif actuel, il nous semble indispensable de changer de paradigme : l’autorité qui désigne ou commet l’avocat doit être une autorité neutre qui ne peut être impliquée dans l’instance concernée. Il nous semble donc indispensable de modifier à cet effet les articles 317, 274 du Code de procédure pénale, l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et le deuxième alinéa de l’article 6 du code de déontologie de l’avocat dans les conditions ci-dessous. Nous pensons sur ce point que la désignation ou la commission d’office est une prérogative qui doit relever du seul bâtonnier, rejoignant sur ce point notamment la position exprimée par l’ancien bâtonnier de Toulouse Pierre Dunac et vice-président de la Conférence des bâtonniers de France. C’est objectivement au demeurant l’autorité la mieux placée pour procéder à la désignation ou commission d’office d’un avocat, du fait notamment de l’ascendant moral fonctionnel qu’il exerce sur les avocats de son barreau.

De la nécessité de faire intervenir une autorité de désignation neutre

Proposition de modification de l’article 317 du Code de procédure pénale :

« À l’audience, la présence d’un défenseur auprès de l’accusé est obligatoire.
 Si le défenseur choisi ou désigné conformément à l’article 274 ne se présente pas, le président en commet un saisit le bâtonnier aux fins qu’il en soit commis un d’office. »

Proposition de modification de l’article 274 du Code de procédure pénale :

« L’accusé est ensuite invité à choisir un avocat pour l’assister dans sa défense.
 Si l’accusé ne choisit pas son avocat, le président ou son délégué lui saisit le bâtonnier aux fins qu’il en  désigne un d’office.
 Cette désignation est non avenue si, par la suite, l’accusé choisit un avocat. »

Proposition de modification de l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques :

« L’avocat régulièrement commis d’office par le bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le bâtonnier ou par le président. En cas de rejet des motifs, l’avocat dispose d’un délai de 24 heures pour déférer la décision de refus devant le premier président de la cour d’appel auquel le barreau est rattaché. »

Proposition de modification du deuxième alinéa de l’article 6 du décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats :

 « L’avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d’office, sauf motif légitime d’excuse ou d’empêchement admis par l’autorité le bâtonnier qui a procédé à la désignation ou à la commission. »

Ces propositions de modification vont d’ailleurs dans le sens d’un arrêt rendu le 5 mars 2024 23-80.229 par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui vient de préciser pour la première fois le rôle majeur du bâtonnier dans la protection des droits de la défense : « Le bâtonnier est chargé d’une mission générale de protection des droits de la défense qui ne se confond pas avec la défense des intérêts de l’avocat mis en cause, concerné par la saisie. ». Or, apprécier les motifs exposés par un avocat pour refuser d’exécuter sa  désignation ou sa commission d’office relève indubitablement de l’exercice effectif des droits de la défense. De plus, une telle évolution textuelle ne pourra de notre point de vue que participer à l’amélioration des relations magistrats – avocats.


actu-juridique
 

 
 



الجمعة 8 مارس 2024

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