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L’avocat et son client, un lien si particulier

     

Julia Courvoisier
Avocat au barreau de Paris




Suite à la tentative de suicide de l’un de ses clients notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, évoque le lien très particulier et très fort qui peut se tisser entre un avocat et celui qu’il défend. 



Le lien de confiance qui doit exister entre un avocat et son client est parfois compliqué à comprendre. La confiance fait naître le respect et, nécessairement la confidence. Et la confidence est essentielle pour pouvoir expliquer comment un homme, ou une femme, en est arrivé à se retrouver confronté à la justice.

Nous, les avocats, nous savons que rien n’est tout blanc ou tout noir et que la vie, celle qui se joue dans les palais de justice, est en réalité un arc-en-ciel de couleurs, qui vont des plus belles au plus sombres. Nous ne défendons d’ailleurs pas des monstres, mais des clients qui ont pu, un jour, commettre un acte monstrueux.

Nos clients font partie de notre vie
Ce lien de confiance entraîne nécessairement une proximité qu’il faut savoir gérer.

Je me plais à croire que la relation entre un avocat et son client est, en quelque sorte, une histoire d’amour professionnelle qui a un début, un milieu et une fin. Nos clients font et feront ainsi toujours partie de notre vie. De nos expériences, de nos sentiments et de nos ressentis. On se bat pour eux, on combat pour eux. On peut se réjouir pour eux. On peut aussi pleurer pour eux, avoir mal pour eux. La vie d’avocat est ainsi faite. Ils nous font grandir et nous apprennent beaucoup sur nous-mêmes. Et sans eux, nous ne sommes pas grand-chose.

Je crois que c’est pour cette raison que je parle peu de mes clients publiquement : au-delà du secret professionnel auquel je suis tenue, égoïstement, j’ai envie de garder ces moments d’humanité et d’intimité professionnelle rien que pour moi. Les plus belles choses ne sont-elles pas celles qui ne se partagent pas, ou celles qui se vivent seulement à l’abri des regards indiscrets ?

Tentative de suicide en prison
Cette semaine, j’ai failli perdre un de mes clients qui a fait une tentative de suicide dans la cellule pourrie et surchargée de sa prison. C’est à moi qu’il a téléphoné en premier lorsqu’il a ouvert les yeux après avoir passé 48 heures dans le coma. Lui s’en est sorti, mais j’ai repensé à l’un de mes anciens clients…

Alors que j’étais une jeune avocate, un médecin qui avait besoin d’aide et d’un nouveau conseil est venu me voir à mon bureau : abattu, résigné, au bord d’abandonner. Il était empêtré depuis des années dans une procédure de divorce qui tenait plus de la guerre nucléaire que de l’ouverture d’un nouveau chapitre de sa vie. Il avait un peu plus de 70 ans, avait travaillé toute sa vie pour soigner, bien souvent au détriment de sa propre santé ;  il n’en pouvait plus de se battre et de « supporter » la justice.

Il n’avait plus les moyens de payer la pension alimentaire pour son fils majeur, qui faisait de brillantes études. Il savait que c’était une infraction pénale (article 227-3 du Code pénal : deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende). Il y avait d’ailleurs plusieurs plaintes pénales déposées contre lui.

Il n’avait plus non plus la force de saisir de nouveau le juge aux affaires familiales pour tenter d’obtenir la suppression de cette contribution alimentaire alors même que ses revenus ne lui permettaient clairement plus de payer autant.

Son ex-femme faisait tout saisir pour récupérer cette pension alimentaire : ses comptes bancaires, sa retraite, ses revenus, ses maigres économies et j’en passe. Son ex-femme était parfaitement dans son droit et il le savait.

La seule chose qu’il avait encore la force de faire était de contester ces saisies, une fois sur deux. Ou une fois sur trois. Enfin, quand il réussissait à ouvrir l’acte d’huissier, car même ouvrir une enveloppe était devenu difficile pour lui.

Harcèlement judiciaire
Je l’ai aimé tout de suite : c’était comme un grand-père, drôle, gentil, bienveillant, mais brisé par la vie et par le destin. La guerre nucléaire de son divorce avait altéré profondément les relations qu’il entretenait avec le seul fils qui lui restait puisqu’il en avait perdu un. Et c’était cela qui le faisait souffrir le plus : il avait honte et ne parvenait pas à surmonter ce sentiment pour faire un pas vers lui. Il se sentait seul, abandonné.

Il ne payait pas sa pension alimentaire, et cela lui coûtait très cher humainement.

Quelques semaines plus tard, le juge de l’exécution a fait droit à notre contestation en retenant un souci de procédure : la saisie de son ex-femme n’allait donc pas être maintenue et ses comptes bancaires allaient être débloqués. Je l’ai immédiatement appelé. Il pleurait au téléphone, soulagé d’avoir, enfin, un peu la paix. « Maître, je vais vous faire livrer des huîtres de chez vous ! », m’avait-il annoncé, avec un immense sourire que j’ai deviné à l’autre bout de la ligne.

Le lendemain, je lui ai envoyé un e-mail pour lui dire que son ex-femme faisait appel du jugement.

Le soir même, il était retrouvé mort dans son salon, des médicaments par terre à côté de lui.

J’ai tellement pleuré.

Je pense souvent à lui. Des années plus tard, il méritait ces quelques lignes.

actu-juridique.fr

 



الاحد 17 مارس 2024

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